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Retour à Soledad

Retour à Soledad

Titel: Retour à Soledad Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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peut être vaincue par un homme jeune, ignorant tout d'une telle malformation.
     
    – Pourquoi me racontez-vous ça maintenant, Hocker ? Vous deviez emporter ce secret dans la tombe, dit sèchement Charles.
     
    – Il devait en être ainsi, en effet, mais lady Ottilia est venue me voir, ce matin. Elle qui, depuis plus de dix ans, ne m'avait jamais adressé la parole, a exigé, au mépris de ma honte et de sa réputation, que je vous raconte, à vous seul, ce que je viens de dire. J'accomplis sa volonté. Elle m'a simplement dit : « Il ne doit pas exister de secret entre Charles Desteyrac et moi. » Elle n'a rien ajouté. Bien sûr, elle ne peut elle-même vous révéler cette folie. Elle sait, comme moi, que je vais mourir. Je me devais de lui obéir pendant que j'en ai encore la force, acheva Hocker dans un souffle.
     
    Exténué par l'effort qu'il venait de faire, le malade se désintéressa de la présence de Charles, ferma les yeux et détourna son visage couvert de sueur. Un moment interdit, l'ingénieur considéra le corps immobile, puis, négligeant le conseil de David Kermor, saisit la main moite qui reposait sur le drap et la serra fortement. La faible pression qu'il en reçut le rassura. Ils s'étaient compris. Délivré de son secret, l'écrivain du Phoenix allait s'abandonner à la mort, l'esprit libre et le cœur en paix.
     
    Accablé par ce qu'il venait d'apprendre, Charles évita de revoir le docteur Kermor, quitta l'hôpital comme un voleur et sauta dans son boghei. Trop bouleversé pour se montrer à quiconque, tenir une conversation et même se trouver en présence d'Ounca Lou, il poussa jusqu'à Deep Water Creek, à l'extrême nord de l'île, au lieu de se diriger vers Valmy.
     
    Jamais plus belle journée tropicale n'avait dévoilé une si triviale révélation. Face à l'ample et lent moutonnement de l'océan, tapis indigo joint, sur la ligne d'horizon, au bleu tendre du ciel de janvier, où folâtraient des cumulus floconneux, Charles s'assit sur un rocher pour mettre de l'ordre dans ses pensées. Aspirant à pleins poumons la brise tiède, comme pour chasser les miasmes de la maladie dont il venait de voir les effets, il s'interrogea : comment Ottilia avait-elle pu s'offrir à un inconnu pour tenter une expérience dont elle devait prévoir l'issue, sans tenir compte du fait qu'un tel acte, accompli sans amour, relevait de la plus primitive animalité ? « La prostituée se donne pour de l'argent, la courtisane et l'intrigante pour obtenir faveurs et position sociale, mais Ottilia espérait-elle qu'un amant de hasard, ignorant son infirmité, la convaincrait qu'elle pouvait connaître malgré tout les émotions sensuelles que sa nature lui refusait ? » se demandait Charles.
     
    Il se prit d'abord à la mépriser, à la voir comme une hystérique que son sang brûle, tourmentée par un désir qu'elle ne peut assouvir mais qu'elle transmue en ardeur de séductrice maléfique. Puis il se dit qu'Ottilia ne pouvant être mère, cette disgrâce devait, à l'empêchement physique, ajouter un désordre moral dans la manifestation d'une féminité que sa beauté attestait, mais dont elle ne possédait que l'apparence.
     
    Plus indulgent au fur et à mesure qu'il retrouvait son calme, Charles Desteyrac admit que l'incapacité d'Otti à se donner tout entière devait avoir une influence incontrôlable sur son comportement. Elle ne pouvait, malgré son intelligence et sa sensibilité, ni sentir, ni penser, ni agir en toute lucidité. Son caractère énigmatique, son humeur instable, la fluctuance de ses sentiments, qu'il éprouvait mieux que personne, devenaient excusables chez une femme si profondément blessée dans son être intime. Ni cruelle ni froide, elle pouvait passer pour comédienne perfide par le raffinement qu'elle mettait dans des coquetteries de Célimène et des impudences d'Agrippine. Il savait que cette solitaire masquait, par de fulgurantes audaces, un manque d'assurance inhérent au secret qu'elle portait comme une tare. Souvent, Ottilia lui avait confié : « Vous êtes mon unique ami, le seul qui me comprenne, quoi que je fasse ou dise. »
     
    En exigeant de Michael Hocker qu'il lui rapportât la scène scabreuse vécue une nuit dans le port de Liverpool, à bord du Phoenix , c'est à l'ami capable de tout comprendre qu'Ottilia avait voulu faire confidence d'un égarement honteux, par l'intermédiaire d'un mourant, afin, comme elle l'avait dit à ce dernier,

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