Révolution française Tome 1
souvent soumises
et humiliées les accompagnent et même les entraînent.
Et cependant, une foule insouciante remplit les
Champs-Elysées. Toutes les boutiques sont ouvertes. On vend dans ces journées
torrides des rafraîchissements. On chante. On danse. On assiste aux spectacles
de pantomimes et de marionnettes.
Cela étonne un voyageur anglais, Moore, qui a vu les canons
installés sur le Pont-Neuf afin d’interdire aux cortèges sans-culottes venus de
la rive droite et de la rive gauche de se rejoindre.
Mais, à quelques rues seulement de ce qui sera sans doute un
lieu de combat : « Tout est tranquille dans Paris. On s’y promène. On
cause dans les rues comme à l’ordinaire. Ces gens-là paraissent heureux comme
des dieux… le duc de Brunswick est l’homme du monde auquel ils pensent le moins. »
Mais il y a ceux qui s’apprêtent à donner l’assaut aux
Tuileries si l’Assemblée législative refuse de proclamer la déchéance du roi.
Et depuis les tribunes de la salle du Manège, ils sont des
centaines à insulter les députés, à les menacer, cependant que d’autres les
attendent à la sortie de l’Assemblée, les entourent, les frappent.
Et bientôt, il n’y aura plus en séance qu’une minorité de
députés – à peine un peu plus de deux cents, sur sept cent quarante-cinq – prêts
à soutenir les vœux des sans-culottes.
Le « peuple » – quelques milliers sur plus de six
cent mille Parisiens – est trop fort pour se laisser dompter par l’Assemblée, qui,
jeudi 9 août, à sept heures du soir, clôt ses travaux, sans s’être prononcée
sur la déchéance du roi.
Médiocre et lâche habileté des Girondins.
« Il pleuvra du sang », prévoit un témoin, quand
il entend un quart d’heure avant minuit la grosse cloche des Cordeliers battre
le tocsin, suivie par les cloches de six autres églises.
Et les tambours commencent à résonner, les sans-culottes à
se rassembler.
Demain, vendredi 10 août 1792, ce sera, comme prévu, on l’a
préparé, la journée révolutionnaire qui doit achever ce qui a été commencé le
14 juillet 1789.
Courte nuit avant l’aube du vendredi 10 août.
Louis écoute le procureur-syndic du département Rœderer, qui
est assis aux côtés de la reine, de Madame Élisabeth, du dauphin, et qui veut, dit-il,
par sa présence aux Tuileries protéger le roi et sa famille.
Déjà plusieurs fois, il a affirmé que le salut ne pourrait
venir d’une résistance armée aux sans-culottes s’ils tentaient d’attaquer le
château.
Il faudrait se réfugier à l’Assemblée, où la majorité des
députés étaient modérés, et feraient de leurs corps et de leur légitimité un
rempart.
Le maire de Paris, Pétion, souriant, vient à son tour aux
Tuileries, puis se retire après quelques instants, et Louis comprend que cet
homme-là refusera de prendre parti, s’enfermera chez lui, se laissant « enchaîner
avec des rubans », de manière à sauver sa vie.
Vers deux heures et demie du matin, Rœderer lit le rapport
qu’on vient de lui remettre.
Les rassemblements de sans-culottes ont de la peine à se
former, dit-il. Les citoyens des faubourgs se lassent. Il semble qu’on ne
marchera pas.
Et un informateur royaliste qui vient d’arriver, confirme
ces informations :
« Le tocsin ne rend pas », répète-t-il.
Louis reste impassible. La journée n’a pas commencé. On
vient d’annoncer que sur ordre de Manuel, procureur général de la Commune, on a
retiré les canons en batterie sur le Pont-Neuf. Dès lors, les sans-culottes du
faubourg Saint-Antoine et ceux du faubourg Saint-Marceau peuvent se rejoindre !
Et Louis approuve et comprend les inquiétudes du marquis de
Mandat, d’autant plus que Manuel est un proche de Danton. L’obstacle majeur à l’assaut
des Tuileries vient de sauter.
Louis se retire. Il veut dormir, laisser le destin s’écouler
selon la pente dessinée par Dieu. Quand il sort de sa chambre, on lui annonce
que le marquis de Mandat, sur convocation de la Commune, et sur les conseils de
Rœderer, a accepté de se rendre à l’Hôtel de Ville où la Commune veut l’entendre.
Le commandant de la garde nationale, responsable de la
défense des Tuileries, est parti seul sans escorte.
Louis ferme les yeux.
Il entend Madame Élisabeth dire à Marie-Antoinette : « Ma
sœur, venez donc voir le lever de l’aurore. »
Combien, demain, vivront une aube nouvelle ?
On tue déjà,
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