Révolution française Tome 1
sa famille dans la loge du logo-graphe, qui
prend en note les discours. On y étouffe dans une chaleur moite. Et l’on entend,
tout proches, des détonations d’abord isolées, puis des feux de salve, des cris.
Il est à peine passé dix heures et demie.
Les portes du château sont forcées.
Les insurgés se précipitent dans les Tuileries. Les gardes
nationaux crient : « Vive la nation ! », rallient les
sans-culottes et les fédérés. On interpelle les Suisses. Le patriote Westermann,
ancien hussard alsacien, proche de Danton, leur lance en allemand :
« Rendez-vous à la nation. »
Quelques-uns hésitent, sautent par les fenêtres, d’autres
répondent qu’ils ne veulent pas se déshonorer. Leurs officiers s’inquiètent. Les
insurgés au bas de l’escalier s’impatientent, commencent à insulter ces « gilets
rouges ». Des débardeurs armés de crocs en harponnent certains par leur
fourniment, les tirent à eux.
Puis un coup de feu, et les salves de part et d’autre. Les
Suisses qui s’élancent chassent les insurgés des cours, s’emparent des canons.
« J’ai vu les Suisses, dit un grenadier de la section
du Théâtre-Français, François Marie Neveu, peintre, ami de David, tant qu’ils
ont été maîtres de la Cour royale, faire jusqu’à six décharges à bout portant
sur mes frères d’armes amoncelés derrière un tombereau, ils faisaient sauter la
cervelle de mes concitoyens à bout portant. »
Il y a déjà une centaine de morts.
Les fédérés marseillais et brestois contre-attaquent, refoulent
les Suisses, dont certains se regroupent près de l’Assemblée.
« Les portes sont forcées, crie un officier de la garde
nationale. Il y a des citoyens qui sont près d’être égorgés. À quoi sert ce
sang versé ? »
Louis écrit au colonel suisse :
« Le roi ordonne aux Suisses de poser à l’instant leurs
armes et de se retirer dans leurs casernes. »
Tous ne peuvent être prévenus. Ils se battront jusqu’à
épuisement de leurs munitions. Et ceux-là comme ceux qui cessent le feu sont
égorgés.
Point de quartier.
De la fenêtre d’un immeuble du Carrousel, Napoléon Bonaparte
a assisté à l’assaut. Puis il parcourt le champ de bataille, où les corps s’entassent.
On les brûle par monceaux.
« On tue les blessés, raconte-t-il. On tue les deux
chirurgiens suisses qui les pansaient. J’ai vu des femmes bien mises se porter
aux dernières indécences sur les cadavres des Suisses. Elles mutilaient les
soldats morts puis brandissaient ces sexes sanglants. Vile canaille ! »
Et « coglione » de Louis XVI.
« Si le Roi se fût montré à cheval, la victoire lui fût
restée. »
Pillage des Tuileries, saccage. Vols, et on tue les voleurs
à coups de sabre et de pique, dans les rues et places proches du château.
« Quelle atroce barbarie ! » s’indigne le
libraire patriote Ruault. Il a vu passer au fil de l’épée soixante Suisses qui
s’étaient rendus et qu’on avait conduits à l’Hôtel de Ville.
« Et depuis quand égorge-t-on de sang-froid, en Europe,
des prisonniers de guerre ? » interroge-t-il.
« Je fus forcé de voir le massacre dans la petite cour
intérieure de l’Hôtel de Ville aux pieds mêmes de l’effigie de Louis XVI.
« On les dépouillait nus, on les perçait puis on les
tirait par les pieds, et on chargeait leurs corps morts dans des tombereaux… Mais,
ô comble de l’horreur ! J’ai vu des cannibales qui chargeaient ces
cadavres les mutiler dans leurs parties secrètes et leur donner en ricanant des
petits soufflets sur les joues et sur les fesses.
« Il faut dire tout ce que l’on a vu et tout ce que l’on
sait de cette abominable journée. »
SIXIÈME PARTIE
11
août 1792-30 septembre 1792
« Libre sous les
poignards »
« Donnons dans la personne des Bourbons et de
leurs complices un exemple éclatant qui fasse pâlir les autres rois : qu’ils
aient toujours devant eux et présent à leur pensée le fer de la guillotine
tombant sur la tête ignoble de Louis XVI, sur le chef altier et insolent de sa
complice… »
Article dans Les Révolutions
de Paris,
numéro du 4 au 11 août 1792
« De ce lieu et de ce jour date une nouvelle
époque de l’histoire du monde. »
Gœthe,
présent à Valmy le 20
septembre 1792
31
Combien de morts ?
Maximilien Robespierre s’interroge. Il n’a pas participé aux
combats. Il est resté enfermé chez les
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