Révolution française Tome 1
ajoute un sans-culotte.
Marie-Antoinette s’évanouit, cependant qu’on promène la tête
de la « ci-devant princesse de Lamballe » devant les fenêtres du
Temple. Et le corps nu et mutilé gît au pied du mur, entouré d’une bande de
quelques dizaines d’assassins et de profanateurs, que par calcul, lâcheté ou
fanatisme, les membres de la Commune insurrectionnelle appellent « le
peuple souverain ».
Et les « massacres » sont justifiés par la plupart
des journaux – à l’exception du Patriote français, dans lequel écrit le
Girondin Brissot qui sait bien que ces égorgeurs, et ceux qui les laissent
faire, ont aussi pour objectif de s’imposer dans la nouvelle Assemblée, la
Convention. Il leur faut pour cela écarter les Girondins, et réduire à un
silence apeuré les électeurs et demain les députés.
Mais dans L’Ami du peuple, ou dans Les Révolues de
Paris, on comprend, on justifie les massacres et même « les indignités
faites au cadavre de Lamballe ». « La Lamballe citée au tribunal du
peuple y a comparu avec cet air insolent qu’avaient jadis les dames de la Cour
mais qui sied mal à une criminelle au pied de son juge. Et l’on voudrait que le
peuple ne perdît point patience ? »
Et dans le Compte rendu au peuple souverain, qui est
patronné par Danton, on prend la défense des massacreurs :
« Ce n’est point une barbarie de purger une forêt de
brigands qui infestent les routes et attentent à la vie du voyageur. Mais c’en
est une atroce de vouloir que le peuple laisse en paix ces mêmes brigands
comploter et exécuter des vols et des assassinats… C’est là véritablement, dans
l’aristocratie propriétaire, qu’existent l’effrayante barbarie, la froideur
criminelle, la haine des lois et la fureur de l’intrigue… »
Mais derrière le « peuple », on sait que les
ordonnateurs de ces assassinats siègent à la Commune du
10 août. Ce sont Danton, Marat et consorts. Et le peuple est
paralysé par l’horreur.
Le libraire Ruault est révulsé de ce qu’il voit.
« J’ai passé, les pieds dans le sang humain, à travers
les tueurs, les assommeurs. »
Il veut faire libérer un prisonnier. Il s’adresse au « juge »
Maillard, qui l’écoute, lui demande des preuves de la bonne volonté patriotique
du prisonnier. Alors que Ruault s’éloigne, Maillard crie d’une voix forte :
« Monsieur, Monsieur, mettez votre chapeau en sortant ! »
On immole ceux qui sortent nu-tête !
« En sortant, continue Ruault, les haches, les sabres
levés se baissent ; je vis expirer à mes pieds, sur le pavé, un vieux et
vénérable prêtre à cheveux blancs en habit violet qui venait de tomber
transpercé de coups de sabre et qui criait encore “Ah, mon Dieu !” »
Ruault a vu aussi « deux hommes nus, en chemise, les bras retroussés jusqu’aux
épaules, qui étaient chargés de pousser dehors les condamnés à mourir, qu’on
appelait élargis ».
Il est toujours membre des Jacobins, mais « tout se
salit, tout s’enlaidit, tout se gâte de plus en plus chaque jour ». Il
constate les rivalités, entre Montagnards et Girondins, entre Paris et la
province. C’est par la terreur qu’inspirent les massacres qu’une faction montagnarde
veut imposer sa loi.
Ruault, bon patriote, note :
« Les discours que l’on tient aux Jacobins sont d’une
extravagance digne des temps où nous vivons. J’y suis resté parce qu’il y a
danger à en sortir. Ceux qui ne renouvellent pas leur carte depuis le 10 août
sont regardés comme des traîtres, des peureux, des modérés : on les arrête
sous un prétexte quelconque. Je resterai donc avec eux jusqu’à la fin de cette
tragédie sans me mêler, autrement que pour les écouter, de ce qu’ils font, de
ce qu’ils disent. On y reçoit depuis un mois tant de gens mal famés, extravagants,
exaspérés, tant de fous, tant d’enragés, que cette société des Jacobins est
toute dégénérée de ce qu’elle était en 1790-1791 et au commencement de cette
année. Les anciens membres ne la reconnaissent plus. »
Comme Ruault, ils se taisent. Et le peuple détourne les yeux,
pour ne pas assister à ces assassinats que perpètre une poignée de tueurs.
On murmure que « Danton conduit tout, Robespierre est
son mannequin, Marat tient sa torche et son poignard ».
En fait Danton laisse faire, justifie, et Robespierre comme
lui utilise la peur créée – ce commencement de la
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