Révolution française Tome 1
à
l’Abbaye. On invoque l’autorité de la Commune, on cite Marat, on dit qu’on veut
juger séance tenante les prisonniers. Les sans-culottes, sabres et piques
brandis, forcent les portes. On bouscule les gardiens.
On tire les prisonniers hors de la prison, on les tue, à
coups de pique et de sabre.
Danton qui siège au Conseil exécutif est averti de ces
premiers assassinats.
« Je me fous bien des prisonniers, hurle-t-il, qu’ils
deviennent ce qu’ils pourront. »
Le soir du 2 septembre, devant les Jacobins, alors que le
massacre a commencé Maximilien Robespierre lance :
« Personne n’ose donc nommer les traîtres, eh
bien moi, pour le salut du peuple, je les nomme. Je dénonce le liberticide
Brissot, la faction de la Gironde… Je les dénonce pour avoir vendu la France à
Brunswick et pour avoir reçu d’avance le prix de leur trahison. »
Et plus tard, lorsqu’il prend la parole devant la Commune, il
évoque :
« Un parti puissant qui veut porter au trône des
Français le duc de Brunswick. »
Et chacun sait qu’en ces heures de chasse aux traîtres, il
vise les Girondins.
Pour qu’on les tue ?
Il n’oublie pas que vont s’ouvrir les assemblées électorales,
et ces accusations, dans le climat de peur qui s’installe heure après heure
dans Paris, rendront impossible l’élection d’un Girondin, d’un modéré, à Paris,
surtout si les sans-culottes présents lors du vote exigent des électeurs qu’ils
annoncent leur choix.
Le 3 septembre, on apprend que Verdun est tombé, que plus
rien, aucune place forte ne défend Paris. Que le commandant de la garnison de
Verdun, Beaurepaire, qui refusait de capituler, aurait été mis en minorité par
la municipalité hostile à toute résistance. Certains affirment que Beaurepaire
s’est suicidé comme un héros antique, puis on assure qu’il a été assassiné, par
des traîtres.
Mort aux traîtres !
« Il faut purger quatre années de trahison », murmure
Manon Roland, en apprenant les massacres, et son mari le ministre de l’intérieur
dit qu’il faut « laisser un voile sur ces événements. Je sais que le
peuple terrible dans sa vengeance y porte encore une sorte de justice. »
En effet, dans le vestibule des prisons, Maillard, un ancien
soldat qui fut de toutes les journées révolutionnaires, depuis le 14 juillet
1789 jusqu’au 10 août 1792, s’est installé derrière une table, et procède, en
quelques minutes, à l’interrogatoire des prisonniers. Le verdict tombe, « Vive
la nation ! », et le prisonnier sortant un chapeau sur la tête est
épargné par les massacreurs qui ont du sang sur les avant-bras et jusqu’aux
épaules.
Si Maillard lance le nom d’une prison, alors le prisonnier
est poussé dehors tête nue, voué à la mort.
On tue à coups de pique et à coups de sabre, et peu à peu, les
« bourreaux » prennent le temps de faire souffrir, jouissant de voir
ces hommes et ces femmes qui se traînent, ensanglantés, frappés d’abord du plat
du sabre avant d’être percés.
Et parfois on enfonce son poing dans la poitrine du cadavre
et on en retire le cœur qu’on porte à ses lèvres, dans un simulacre de
dévoration cannibale.
Et les prostituées sont violées avant d’être tuées.
« Le peuple s’est levé, la fureur martiale qui a saisi
tous les Parisiens est un prodige, écrit à son mari, député de la Drôme, Madame
Julien. Je jette un voile sur les crimes qu’on a forcé le peuple à commettre
par tous ceux dont il est depuis deux ans la triste victime… Quand on veut la
fin il faut vouloir les moyens. Point d’humanité barbare ! »
Mais ce « peuple » qui tue, dont on dit qu’il rend
la justice, n’est composé que de quelques centaines d’hommes – peut-être moins
de deux cents – qui vont de prison en prison, des Carmes à l’Abbaye, de Bicêtre
à la Grande Force.
Ils sont déterminés, et le vin comme le sang versé les rend
ivres.
« Triple nom de Dieu, s’écrie un fédéré marseillais, je
ne suis pas venu de cent quatre-vingts lieues pour ne pas foutre cent
quatre-vingts têtes au bout de ma pique. »
Les députés que l’Assemblée envoie sur les lieux des
massacres pour tenter de les arrêter sont terrorisés, entourés d’hommes qui
tuent comme on élague, et disent d’un prisonnier qu’ils vont « l’élargir ».
Ils s’approchent d’un député :
« Si tu viens pour arrêter la justice du peuple,
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