Révolution française Tome 1
avaient le plus choqué Louis, comme s’il avait
approuvé la prophétie tragique du ministre, tout en se sachant incapable de l’empêcher :
« Je ne puis assez répéter à Votre Majesté ce que je prévois, et ce que
tout le monde prévoit d’un enchaînement de faiblesse et de malheur si les plans
commencés sont abandonnés… Et que sera-ce, Sire, si aux désordres de l’intérieur
se joignent les embarras d’une guerre… Comment la main qui n’aura pu tenir le
gouvernail dans le calme pourra-t-elle soutenir l’effet des tempêtes ? Comment
soutenir une guerre avec cette fluctuation d’idées et de volontés, avec cette
habitude d’indiscrétion qui accompagne toujours la faiblesse ? »
Et l’une des phrases de Turgot a bouleversé Louis XVI.
Elle rappelle au roi le temps de Cromwell et le sort
souverain d’Angleterre, qui avait effrayé et horrifié toutes les cours d’Europe.
Turgot a écrit :
« N’oubliez jamais, Sire, que c’est la faiblesse qui a
mis la tête de Charles I er sur un billot… »
7
Cette image d’un roi à genoux, dont on va trancher la tête d’un
coup de hache, elle hante Louis XVI.
Il la refoule, chassant le cerf jusqu’à neuf heures d’affilée,
rentrant épuisé, engloutissant avidement son dîner, puis somnolant, ou bien
frappant le fer à toute volée, le visage brûlé par le feu de la forge, ou
encore se promenant seul dans les combles de Versailles, faisant fuir les rats
ou les chats, montant sur les toits du château, les parcourant, apaisé par la
solitude.
Mais il lui faut retrouver ses appartements, sa chambre où
les courtisans l’attendent pour le cérémonial du grand lever ou du coucher
auquel il doit se plier, parce qu’il est le roi, et qu’ainsi le veut l’étiquette.
Il a fait heureusement aménager un corridor secret, capitonné
et toujours éclairé, par lequel il peut accéder en toute discrétion à la
chambre de la reine.
Mais pour des mois encore, ce sera une épreuve humiliante
que de se retrouver couché près d’elle, de ne pouvoir la féconder.
Il faut se retirer, avec ce sentiment d’impuissance, alors
que le comte d’Artois est déjà père, et que l’on jase sur cette incapacité du
roi.
On sait qu’il a vu les médecins, que certains continuent de
n’invoquer que sa nonchalance et sa paresse, mais que celui de la reine suggère
qu’un petit coup de scalpel, anodin, libérerait le roi d’un ligament qui l’empêche
non de pénétrer son épouse, mais de jouir en elle.
Cependant, peu à peu, parce qu’il échappe aux regards des
courtisans toujours aux aguets, prêts à dénombrer ses visites à la reine, vaines,
Louis s’accoutume à ce corps de jeune femme admirée, désirée.
Tous les jeunes aristocrates rêvent de l’approcher, de
participer à ses fêtes, à ses bals, d’être admis à Trianon où elle se retire
souvent, parce que la Cour et ses chuchotements malveillants la lassent.
On ne lui reconnaît que le charme, la séduction.
Elle est « la statue de la beauté », fière et sûre
de son impériale majesté. Mais on murmure qu’à un bal, en 1774, elle s’est
éprise d’un noble suédois, Axel Fersen, et qu’elle a succombé à sa virilité.
Louis veut ignorer ces rumeurs.
Il a confié au frère de Marie-Antoinette, Joseph, venu
incognito à Paris, ses « empêchements ».
« Paresse, maladresse et apathie », a conclu
Joseph, jugeant Louis XVI.
« Il faudrait le fouetter pour le faire décharger de
foutre comme les ânes, a ajouté Joseph, ma sœur avec cela a peu de tempérament
et ils sont deux francs maladroits ensemble. »
Et il morigène Marie-Antoinette :
« Vous rendez-vous nécessaire au roi ? Voit-il
votre attachement uniquement occupé de lui ?… Avez-vous pensé à l’effet de
vos liaisons et amitiés si elles ne sont point placées sur des personnes en
tout point irréprochables… Daignez penser un moment aux inconvénients que vous
avez déjà rencontrés au bal de l’Opéra et aux aventures que vous m’avez
vous-même racontées là-dessus. »
Louis écoute les conseils de Joseph, s’obstine, même si
chaque échec le blesse, accroît ses doutes.
Mais en même temps, il serait fort capable de soulever une
masse énorme à bout de bras, de forger, de raboter, de terrasser un sanglier, un
cerf.
Et finalement, le 18 août 1777, il réussit « la grande
œuvre », attendue depuis sept années.
Il exulte, écrit à
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