Révolution française Tome 1
dans les idées de Turgot.
Il est le roi de droit divin et c’est à lui seul de définir
ce qu’il entend par égalité, liberté, tolérance, et cela ne relève pas de la
décision d’une Assemblée, fût-elle nationale, ou bien de philosophes qui récusent
l’Église.
Quand Turgot, au Conseil, formule cette maxime : « Les
dépenses du gouvernement ayant pour objet l’intérêt de tous, tous y doivent
contribuer, et plus on jouit des avantages de la société plus on doit se tenir
honoré d’en partager les charges », le roi comprend que la politique de
Turgot est grosse d’un changement radical dans les lois fondamentales du
royaume.
Et surtout il sait qu’elle dressera contre elle les
parlements, tous les privilégiés, les évêques, et donc la Cour, et
naturellement la reine.
Il ne veut pas, il ne peut pas se laisser entraîner dans une
opposition, une fronde, une guerre entre lui, le roi, et sa famille, et ceux
qui sont les colonnes de la monarchie.
Louis veut le bonheur de ses sujets, mais pas au prix du
reniement des serments du sacre, et de tout le passé de la monarchie.
Il ne veut pas de la rupture avec l’Église apostolique et
romaine, dont la France est la fille aînée, ni du sacrifice de la noblesse, qui
est l’armature millénaire du royaume.
Il ne peut pas concevoir un autre monde, il ne le veut pas. Il
faut donc que Turgot s’en aille.
Mais c’est au contrôleur général des Finances de
démissionner.
Louis ne veut pas l’affronter, mais il agit de manière que
Turgot comprenne qu’il n’a plus la confiance du roi.
C’est fait, au printemps 1776.
Louis ne reçoit plus Turgot, et, lorsqu’ils se croisent, ne
lui parle pas, ne le regarde pas.
« Sire, écrit Turgot, je ne veux point dissimuler à
Votre Majesté la plaie profonde qu’a faite à mon cœur le cruel silence qu’elle
a gardé avec moi… Votre Majesté n’a pas daigné me répondre un mot… »
Louis n’aime pas le ton de cette lettre.
« Vous manquez d’expérience, Sire, continue Turgot… Je
vous ai peint tous les maux qu’avait causés la faiblesse du feu roi.
« Je vous ai développé la marche des intrigues qui
avaient par degrés avili son autorité… Songez, Sire, que suivant le cours de la
nature vous avez cinquante ans à régner et pensez au progrès que peut faire un
désordre qui, en vingt ans, est parvenu au point où nous l’avons vu.
« Ô, Sire, n’attendez pas qu’une si fatale expérience
vous soit venue et sachez profiter de celle d’autrui… »
Turgot sait qu’il a perdu la partie.
Il confie à l’abbé Véri :
« Je partirai avec le regret d’avoir vu se dissiper un
beau rêve et de voir un jeune roi qui méritait un meilleur sort et un royaume
entier perdus par celui qui devait les sauver. »
Il veut voir le roi, contraindre Louis à lui dire, face à
face, qu’il est congédié.
Mais Louis s’esquive, refuse toute audience, et, quand il
croise Turgot, détourne la tête, lui lance en s’éloignant :
« Que voulez-vous ? Je n’ai pas le temps de vous
parler. »
Tout le ressentiment accumulé depuis près de deux ans s’exprime,
toute l’incapacité humiliante à dominer la situation s’y révèle, comme le refus
de réformer en profondeur la monarchie, et la rupture de la confiance du roi
envers Turgot, qu’il avait apprécié, et soutenu.
« Mais il n’y a que ses amis qui aient du mérite, il n’y
a que ses idées qui soient bonnes », bougonne Louis XVI.
Enfin Turgot démissionne le 12 mai 1776, refuse la pension
qu’on lui offre :
« J’ai fait, Sire, ce que j’ai cru de mon devoir ;
tout mon désir est que vous puissiez toujours croire que j’avais mal vu… Je
souhaite que le temps ne me justifie pas. »
Le parti des réformes est accablé. Le contraste est frappant
entre la volonté de soutenir Turgot – contre les parlements – qu’a manifestée
Louis XVI, et la manière dont il a abandonné son ministre, passant de l’enthousiasme
et de l’appui déterminé à la dérobade et au désaveu.
La réforme de la monarchie est-elle donc impossible ?
« C’est un désastre, écrit Voltaire. Je ne vois plus
que la mort devant moi… Ce coup de foudre m’est tombé sur la cervelle et le
cœur… Je ne me consolerai jamais d’avoir vu naître et périr l’âge d’or que
Monsieur Turgot nous préparait. »
Turgot dans sa lettre à Louis XVI avait écrit – et ces
phrases étaient celles qui
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