Révolution française Tome 1
neckromanie , et accusera Necker de faire
vivre le royaume en l’endettant plus encore, et donc en aggravant le mal.
Necker le sait, et il lui faut bien, la confiance rétablie, envisager
des réformes dont il n’ignore pas qu’elles susciteront des résistances
farouches.
Il ne parle plus de supprimer la corvée et il ne modifie que
superficiellement les impôts du vingtième et de la taille, sans toucher à la
dîme ecclésiastique.
Prudent, il avance à pas feutrés, cherchant à chaque instant
l’appui de l’opinion.
Il diminue le nombre de receveurs généraux, s’attaquant
ainsi à la Ferme, qui lève à son profit les impôts dont une partie seule
aboutit dans les caisses de l’État. Et il met en cause les dépenses de la
Maison du roi.
C’est la guerre ouverte avec les privilégiés et d’autant
plus qu’il propose la création d’assemblées provinciales et de municipalités
chargées d’établir les impôts.
À titre d’essai, il en crée une à Bourges, une autre à
Montauban, et il en projette deux autres à Grenoble et à Moulins.
Ce qui révolte les privilégiés, les parlementaires, ce n’est
pas seulement qu’insidieusement on met en place
— Turgot l’avait déjà proposé – des assemblées qui
seront les lieux du pouvoir, et donc affaibliront les cours existantes.
C’est surtout qu’à Bourges comme à Montauban, les délégués
représentant le tiers état – les roturiers -seront à eux seuls aussi nombreux
que ceux de la noblesse et du clergé réunis !
Cette double représentation du tiers état remet en cause la
hiérarchie politique et sociale, fondée sur la prééminence de ces deux ordres, le
noble et l’ecclésiastique, assurés de la majorité si l’on vote par ordre, et
réduits au mieux à l’égalité si l’on vote par tête après avoir doublé le nombre
de représentants du tiers état.
Que veut cet « anglomane » de Necker, ce
protestant ? s’interrogent les ordres privilégiés qui se dressent contre
Necker.
Dans la Lettre d’un bon Français , on l’accuse :
« Après avoir commencé comme Law – le financier
-voudriez-vous finir comme Cromwell ? »
C’est l’image du roi agenouillé, la tête sur un billot, qui
revient s’imposer à Louis qui jusqu’alors a soutenu Necker.
Et celui-ci sent qu’un renvoi à la manière de Turgot le
menace.
Et il joue une fois de plus l’opinion, publiant, en février
1781, un opuscule à couverture bleue, le Compte Rendu au roi par Necker ,
c’est-à-dire le budget de la France.
La mesure est révolutionnaire : dépenses et recettes
sont présentées et sortent de l’ombre.
On sait ce que coûtent la Maison du roi, les pensions, rentes
et libéralités accordées aux courtisans.
Necker dénonce toutes ces prodigalités du Trésor royal au
bénéfice de quelques milliers de privilégiés.
« C’est donc à ce genre d’abus, écrit-il, dont on ne
peut mesurer l’étendue que j’ai cru devoir opposer les plus grands obstacles. »
Par ailleurs, il présente un budget qui compte un excédent
de recettes. Et il en appelle à l’opinion qui s’est précipitée pour acheter le Compte
Rendu au roi .
Six mille exemplaires ont été vendus le premier jour, cent
mille en quelques semaines. Le livre est même traduit en anglais, en allemand
et en italien.
« Je ne sais si l’on trouvera que j’ai suivi la bonne
route mais certainement je l’ai recherchée… écrit Necker. Je n’ai sacrifié ni
au crédit, ni à la puissance, et j’ai dédaigné les jouissances de la vanité. J’ai
renoncé même à la plus douce des satisfactions privées, celle de servir mes
amis ou d’obtenir la reconnaissance de ceux qui m’entourent… Je n’ai vu que mon
devoir. »
Il revendique – et c’est là l’annonce de temps nouveaux – la
fin du secret monarchique, et donc d’un privilège immense et d’un « droit »
souverain, divin.
L’attitude est « révolutionnaire » puisque Necker
s’est adressé à tous les sujets, égaux de ce fait en droit :
« Enfin, et je l’avoue aussi, conclut Necker, j’ai
compté fièrement sur cette opinion publique que les méchants cherchent
en vain d’arrêter ou de lacérer mais que, malgré leurs efforts, la justice et
la vérité entraînent après elles. »
Moment crucial, comme au temps de Turgot.
Et c’est la même question qui est posée : peut-on
réformer la monarchie, Louis XVI continuera-t-il de soutenir
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