Révolution française Tome 1
avait crue
effacée par le sacre et l’euphorie qui avait suivi, que tout glisse entre ses mains,
qu’il subit plus qu’il n’ordonne ou approuve.
Il avait voulu et avait cru faire l’unanimité de ses sujets
autour de sa personne et de sa politique, et voici, au contraire, que de la
Cour et des salons aux villes et aux villages, et dans les parlements, et au
sein même du gouvernement, elles divisent, qu’il a le sentiment de se trouver
face à un choix majeur, qui va orienter tout le règne et décider de son sort.
Les réformes de Turgot suscitent des troubles.
Des paysans s’en prennent aux châteaux, aux riches
propriétaires puisque l’édit sur la corvée impose aux privilégiés de payer et
de ne plus exiger un travail d’entretien de la voirie. Et que certains refusent
de l’appliquer.
La réorganisation par Turgot des messageries, la mise en
circulation de berlines légères et rapides – les turgotines –, l’installation
de nombreux relais de poste entraînent le renvoi de plusieurs milliers d’employés.
On attaque Turgot :
Ministre ivre d’orgueil tranchant du
souverain
Toi qui sans t’émouvoir, fais tant de misérables
Puisse ta poste absurde aller un si grand
train
Qu’elle te mène à tous les diables !
De leur côté, les artisans se plaignent que leurs compagnons
les quittent, créent, au nom de l’édit sur les jurandes, des commerces
concurrents.
Réformer, c’est donc, au nom de la liberté et de l’égalité, mécontenter
presque tous les sujets du royaume.
Pour les uns, Turgot ne va pas jusqu’au bout de ce qui est
nécessaire.
Pour les autres, il va trop loin.
Louis entend les récriminations de ses frères, le comte de
Provence et le comte d’Artois, et celles de la reine, que son entourage dresse
contre ce Turgot qu’elle voudrait, dit-elle, voir envoyer à la Bastille.
Ne s’en est-il pas pris au comte de Guines, contraint de
quitter son ambassade à Londres, et dont elle obtient, camouflet pour Turgot, qu’il
soit fait duc ?
Louis a donc cédé, même s’il se méfie des intrigues de
Marie-Antoinette.
Il s’inquiète de la réputation de la reine qui, dans l’hiver
1776, entraîne ses courtisans au milieu de la nuit, à parcourir en traîneaux, éclairés
par des torches, les rues de Paris enneigées.
Puis, c’est souper, bal, fête, dépenses.
Le roi l’interroge :
« On vous a bien applaudie à Paris ?
« Non, cela a été froid.
« C’est qu’apparemment, Madame, vous n’aviez point assez
de plumes.
« Je voudrais vous y voir, Sire, avec votre
Saint-Germain et votre Turgot. »
Car la reine désormais se pique de « faire et défaire
les ministres ».
Elle s’est rapprochée de Maurepas. Le mentor de Louis XVI
est jaloux de Turgot. C’est donc un allié.
« C’est, dit-elle, pour le bien de l’État, pour le bien
du roi et par conséquent pour le mien. »
Malesherbes, conscient de l’opposition de la reine, démissionnera.
Louis se défie d’elle, mais elle est obstinée, entourée de confidents intéressés,
tous hostiles à Turgot, aux réformes, tous défenseurs des privilèges dont ils
bénéficient.
Même l’ambassadeur d’Autriche s’inquiète. Il écrit à l’impératrice
Marie-Thérèse, qui suit, jour après jour, les manœuvres de sa fille :
« On parvient à piquer son amour-propre, à l’irriter, à
noircir ceux qui pour le bien de la chose veulent résister à ses volontés. Tout
cela s’opère pendant les courses et autres parties de plaisir. »
Comment Louis pourrait-il résister à la coalition qui
rassemble la reine et le comte d’Artois, les évêques et Maurepas, les
parlementaires et les maîtres des jurandes et des corporations ?
Le roi tente de fuir pour ne pas avoir à trancher, à choisir.
Il chasse avec une énergie et une violence redoublées. Il
active sa forge. Il frappe le métal. Mais la tension autour de lui augmente.
Maurepas le harcèle, veut obtenir le renvoi de Turgot, qui
selon le mentor mène le royaume à l’abîme, et qui, de fait, est devenu le
premier des ministres.
La reine redouble les avertissements de Maurepas, dépose
devant Louis ce pamphlet, intitulé Les Mannequins , inspiré, dit-on, par
son frère le comte de
Provence, et qui montre le Roi mannequin entre les
mains d’un certain « Togur »…
Les blessures d’amour-propre de Louis s’aggravent.
Elles sont d’autant plus insupportables que Louis ne se
reconnaît pas
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