Révolution française Tome 1
Necker ?
Or, la publication du Compte Rendu , qui fait croire
qu’on pourra désormais calculer, contrôler, discuter, les recettes et les
dépenses du pouvoir, l’emploi de l’impôt, sa répartition, qu’en somme allait
commencer un temps de justice, d’égalité et de liberté, raffermit le crédit de
l’État.
Un nouvel emprunt de soixante-dix millions en produit cent !
Mais contre Necker, c’est désormais l’union de tous les
privilégiés. Des Polignac – les habitués du Trianon, et les plus proches
confidents de la reine – aux parlementaires, des frères du roi aux évêques et
aux financiers.
L’intendant Calonne, dans un pamphlet, se moque des neckromanes qui n’ont même pas remarqué que le Compte Rendu au roi est incomplet :
Necker a oublié (!) les dépenses de la guerre en Amérique et les remboursements
des dettes, si bien que son budget, loin d’être en excédent de dix millions, est
en déficit de deux cent dix-huit millions !
Ce compte rendu n’est qu’un « conte bleu »,
dit Maurepas.
Necker, face aux assauts, demande au roi de lui confirmer
son soutien en lui donnant l’administration directe des Caisses de la guerre et
de la marine, ce qui ferait de lui le vrai maître du ministère, et marquerait
la volonté du roi d’engager des réformes radicales.
Louis XVI refuse et Necker donne sa démission le 19 mai 1781.
C’est un choc brutal pour cette opinion qui a soutenu Necker.
Une déception plus forte encore que celle qui avait suivi la disgrâce de Turgot.
Une faille s’est ouverte dans le royaume.
Que peut le roi ? Que veut-il ?
Les esprits éclairés rêvent d’Amérique, d’assemblée, de vote,
d’égalité et de justice.
On accuse la reine d’être responsable de la démission de
Necker. Elle a au contraire entretenu de bons rapports avec lui. Mais le roi
est épargné. Il reste de droit divin, alors que la reine n’est qu’une « Autrichienne
frivole », dont le cœur est à Vienne et non à
Paris. Grimm, qui écrit et anime la Correspondance
littéraire , note, après la démission de Necker :
« La consternation était peinte sur tous les visages ;
les promenades, les cafés, les lieux publics étaient remplis de monde, mais il
y régnait un silence extraordinaire.
« On se regardait, on se serrait tristement la main. »
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Louis détourne la tête, s’éloigne d’un pas lent et lourd, son
visage boudeur exprime l’ennui et même du mépris.
Il ne veut plus qu’on lui parle de Necker, de l’état de l’opinion,
de ces esprits éclairés, et parmi eux des grands seigneurs, et même le duc d’Orléans,
qui fréquentent le salon de Madame Necker, rue de la Chaussée-d’Antin.
Ces beaux parleurs critiquent les nouveaux contrôleurs des
Finances, qui se sont succédé, Joly de Fleury, Lefèvre d’Ormesson, et
maintenant Calonne, cet intendant aimable, disert, bien en cour, qui d’une
plume acérée a révélé les subterfuges de Necker et contribué à son départ.
C’est lui qui doit désormais faire face au déficit, mais qui,
habilement, en multipliant les emprunts, en jouant sur le cours de la monnaie, favorise
la spéculation, obtient le soutien des financiers, des prêteurs, et crée un
climat d’euphorie.
Les problèmes ne sont que repoussés, aggravés même, prétend
de sa retraite Necker, mais la morosité et la déception qui ont suivi sa
démission se dissipent.
Voilà qui confirme Louis dans son intime conviction : les
ministres passent ; les crises, même financières, trouvent toujours une
solution, l’opinion varie, va et vient comme le flux et le reflux, seuls le roi
et la monarchie demeurent.
Et les voici renforcés, célébrés, puisque, le 22 octobre
1781, ému jusqu’aux larmes, Louis peut se pencher sur Marie-Antoinette qui
vient d’accoucher de son premier garçon et lui murmurer :
« Madame, vous avez comblé mes vœux et ceux de la
France : vous êtes mère d’un dauphin. »
Et il pleure de nouveau lorsqu’il apprend qu’à Paris, à la
nouvelle de la naissance d’un héritier royal, la foule a manifesté sa joie, dansant,
festoyant, s’embrassant. Et les dames des Halles, venues à Versailles, ont
célébré en termes crus la reine.
Semblent envolés tous les pamphlets, où l’on critiquait l’Autrichienne,
accusée d’infidélité, voire de préférer ses favorites et leurs caresses à son
mari ! Ou bien de s’être pâmée dans les bras de cet officier
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