Révolution française Tome 2
cette jeune Marseillaise dont la sœur aînée Julie a épousé
Joseph Bonaparte.
Il serait à l’abri du besoin, alors qu’il traîne sa misère
dans ces bureaux, ces salons, où se presse une foule d’élégants et d’élégantes,
inc-oyables et me-veilleuses.
Il rentre à l’hôtel de la Liberté, amer.
Il écrit un court roman, Clisson et Eugénie.
Les jours se succèdent et il n’obtient rien. D’un pas rapide
il parcourt les rues, retourne dans les bureaux, jaloux de ces généraux, Hoche,
Marceau, Jourdan, Pichegru, qui sont honorés parce que victorieux et non
suspects de robespierrisme.
Dans l’Ouest, Hoche semble réussir à pacifier la Bretagne
après la Vendée.
À l’Est et au Nord, les Provinces-Unies ont été contraintes
de conclure à La Haye un traité de paix. Et elles doivent payer une indemnité
considérable de cent millions de florins à la République et entretenir un corps
d’armée de vingt-cinq mille soldats. Et cet argent ruisselle sur ceux qui à
Paris détiennent le pouvoir.
Ils achètent les biens nationaux. Ils s’enrichissent avec
les fournitures de guerre aux armées.
Barras règne au palais du Luxembourg. C’est le « roi de
la République ». Madame Tallien est sa maîtresse officielle. Mais d’autres
jeunes femmes, la citoyenne Hamelin, Madame Récamier, et la veuve d’un général
guillotiné pendant la Terreur, Joséphine de Beauharnais, une créole encore
belle, bien qu’âgée de plus de trente ans, se partagent ses faveurs.
Et c’est dans l’antichambre de Barras que le général
Bonaparte attend en solliciteur. Il quémande aussi auprès de Fréron et de
Boissy d’Anglas, les nouveaux maîtres de la République.
Boissy d’Anglas le reçoit, lui explique qu’un « pays
gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social, celui où les
non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature, c’est-à-dire dans la
barbarie ».
Bonaparte pense aussi cela. Il rôde comme un loup affamé d’argent,
de femmes, de fonctions, de gloire.
Il décrit à son frère Joseph ce Paris où « le luxe, le
plaisir et les arts reprennent d’une manière étonnante. Hier on a donné Phèdre à l’Opéra au profit d’une ancienne actrice. La foule était immense depuis deux
heures après-midi, quoique les prix fussent triplés. »
« Les voitures, les élégants reparaissent ou plutôt ils
ne se souviennent plus que comme d’un long songe qu’ils aient jamais cessé de
briller. »
« Les femmes sont partout : aux spectacles, aux
promenades, aux bibliothèques. Dans le cabinet du savant vous voyez de très
jolies personnes. Ici seulement de tous les lieux de la terre elles méritent de
tenir le gouvernail ; aussi les hommes en sont-ils fous, ne pensent-ils qu’à
elles et ne vivent-ils que par et pour elles. »
« Une femme a besoin de six mois de Paris pour
connaître ce qui lui est dû et quel est son empire… »
« L’aisance, le luxe, le bon ton, tout a repris ; l’on
ne se souvient plus de la terreur que comme d’un rêve. »
Mais le « roi de la République » Barras, et Fréron
et Tallien, et Sieyès, eux, ont la mémoire encore hantée de cauchemars. Ils
veulent en finir avec les Montagnards.
Tous les membres encore libres des grands Comités de l’an II
sont décrétés d’arrestation, à l’exception de trois d’entre eux, dont Carnot l’« organisateur
de la victoire ».
Quarante-trois députés sont incarcérés, traduits devant le
Tribunal criminel qui a remplacé le Tribunal révolutionnaire aboli.
Le mot même, d’ailleurs, de « révolutionnaire »
est par décret de la Convention proscrit.
Et c’est devant une Commission militaire que sont traduits
les suspects. Il y aura trente-six condamnations à mort, douze à la déportation.
Même en tenant compte de la Terreur blanche qui fait couler
le sang en province, la répression est mesurée, si on la compare à la Grande Terreur
de l’an II.
Billaud-Varenne et Collot d’Herbois sont embarqués pour la
Guyane. Barère s’enfuit, échappe ainsi à la déportation. Mais d’autres députés
– Rühl, Maure – se suicident au moment de leur arrestation.
Quant aux députés qui sont jugés, six d’entre eux sont
condamnés à mort par la Commission militaire.
Dès que le jugement est prononcé, aux acclamations de la
Jeunesse dorée, les Montagnards se passent de main en main deux couteaux et se
poignardent.
Trois d’entre eux –
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