Ridicule
était nue, avec pour tout mobilier un petit tabouret et une coiffeuse, rien de plus. Les rideaux étaient tirés, et deux femmes de chambre s’étaient postées dans les coins selon une diagonale, toutes deux armées de soufflets rappelant ceux qu’on utilise pour entretenir le feu. Elles actionnèrent leurs instruments, dont les becs de cuivre crachèrent un nuage blanc. Quand l’espace fut presque opaque, la comtesse de Blayac entra par une petite porte latérale. Elle était entièrement nue, si ce n’était un crêpe léger posé sur ses cheveux noués, et un masque de tulle fin pour se garantir contre l’inhalation de poudre. Amélie de Blayac virevolta trois ou quatre fois dans la poussière blanche et ressortit par où elle était entrée.
Cet usage singulier était venu de Hongrie avec son plus brillant ambassadeur, le comte Kaunitz-Rietberg, dépêché en France pour négocier la paix d’Aix-la-Chapelle. Cet homme grand, bien fait et magnifique dans toutes ses manières, avait eu les faveurs de Mme des Fallières, née de Carsol, mère de la future comtesse de Blayac. Mme des Falières n’avait pas su garder l’amant, mais elle avait conservé l’ingénieux procédé de poudrage — dont Amélie perpétuait l’usage. Dans le cabinet de toilette attenant, deux autres femmes de chambre l’attendaient avec une culotte de la meilleure dentelle de Flandres, et un corset de coton des Indes. Puis, on lui présenta une somptueuse robe de deuil de velours noir parcourue de savants entrelacs de taffetas d’un bleu si profond qu’on les discernait à peine. La robe s’agrafait haut sur la poitrine, mise en valeur par un noeud gracieux appelé « parfait contentement ». La robe, dite « à la polonaise », s’écartait largement devant sur la jupe de dessous, et, à l’arrière, deux cordons coulissants la drapaient en trois pans. On disait qu’elle devait son nom au découpage de la Pologne en trois parts, quelques années plus tôt — le comte Kaunitz-Rietberg n’y était pas pour peu.
— S’il faut porter le deuil, que ce soit pour la pauvre petite Pologne ! avait-elle dit joliment à l’abbé de Vilecourt, son confesseur, qu’elle avait consulté sur ce point.
Amélie se regarda en pied dans le grand miroir. Sa peau blanche jaillissant du velours noir allait transformer les condoléances en hommages. Elle s’installa devant la coiffeuse avec la fierté d’une future reine se préparantjjour le sacre.
Le jour du triomphe était venu. Les amis et les ennemis de M. de Blayac — il était difficile d’en faire la part — piétinaient devant la comtesse et son confesseur, comme des vassaux venant faire allégeance.
Amélie de Blayac recevait les condoléances avec infiniment d’esprit et de grâce, sans jamais oublier d’aller chercher le regard de son confesseur après chaque révérence, avec des airs de feinte modestie qui mettait l’abbé en joie.
Quand vint le tour du marquis de Bellegarde, celui-ci s’inclina devant la veuve, à moins que ce ne fût devant sa beauté.
Le marquis avait atteint soixante ans sans jamais s’ennuyer et comptait à son crédit quelques bons mots qui dataient du feu roi. S’il n’inspirait plus la crainte, son commerce était réputé agréable, et sa conversation restait de bon ton.
— Bellegarde ! Départagez-nous ! lui dit Amélie de Blayac sur un ton d’hôtesse. L’abbé veut faire dire quatre messes pour mon défunt mari, et je suis d’avis que deux sont bien suffisantes.
Elle coula un regard oblique à son abbé, qui lui répondit par un sourire.
Vilecourt ne se connaissait que deux défauts : l’impiété et la vanité. On le disait théologien, il était certainement homme d’esprit, comme en témoignaient les faiblesses que la comtesse avait pour lui. Notoirement. Quelle satisfaction pour ce rejeton d’une obscure lignée d’épée tombée dans la nécessité ! Il était dans la place, le plus dur était derrière lui. La comtesse de Blayac l’avait élu, elle avait donc lié un peu de son propre prestige à sa personne. Maintenant, elle l’aiderait à parvenir au zénith, parce qu’elle ne pouvait avoir d’autre amant que l’homme du moment.
— Soyez notre arbitre, monsieur de Bellegarde...
— Madame, je n’en ai pas fait dire pour mon épouse que j’aimais tendrement, repartit honnêtement le marquis, avant de faire une révérence et de laisser la place.
La piquante veuve lança un regard
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