Ridicule
Butor au palefrenier qui s’approchait déjà. Des voitures déposaient leurs passagers, d’autres repartaient. Des femmes de la meilleure société au bras de gentilshommes en tenue de sortie patientaient en silence dans l’espoir d’apercevoir leurs gens parmi la ronde des valets et des cochers. Une certaine désorganisation ralentissait les opérations, qui fit penser à Ponceludon que les circonstances n’étaient pas ordinaires. Le jeune homme sourit de sa poltronnerie première, car il voyait maintenant l’occasion de se glisser parmi les visiteurs. Milletail et Bellegarde attendaient au bas du perron qu’on veuille bien leur restituer leurs chevaux. Ponceludon s’approcha d’eux en ôtant son chapeau.
— Messieurs, c’est bien là la maison de M. de Blayac ?
Passée la surprise, les deux hommes échangèrent un regard complice.
— Vous êtes un proche ? s’enquit le chevalier de Milletail.
— J’ai là une lettre pour le comté de Blayac.
— Une lettre de recommandation, peut-être ? répondit le chevalier en réprimant un sourire. Vous tombez fort à propos. Il reçoit en ce moment même !
Leurs chevaux étant prêts, ils tirèrent leur révérence et mirent le pied à l’étrier. Avant de prendre le trot, Bellegarde se retourna vers leur victime, qui ne savait plus quel parti prendre, et décida de le tirer d’embarras, moins par charité que parce qu’il lui venait un « mot » :
— Vous le reconnaîtrez facilement, monsieur... à sa veuve !
En entrant dans le grand salon qui ne s’était pas dépeuplé depuis les premières heures, Ponceludon prit son tour parmi les diseurs de condoléances. Devant lui se tenait un homme vêtu de noir, au visage douloureux et couvert de scrofules que la poudre cachait mal. Il était le seul qui paraissait avoir une peine profonde. Le jeune provincial ne tarda pas à se reculer d’un pas, tant les odeurs mêlées de parfum et de pourriture qu’exhalait cet homme étaient fortes. Ponceludon reconnut la gangrène, à lui si familière, puisqu’il l’avait tenue dans ses bras et même embrassée lorsque sa petite Jeanne avait agonisé. Après de rapides condoléances, le malade laissa la place à Ponceludon, qui nota les sourires narquois de la comtesse de Blayac et de l’abbé, dont les regards suivaient le malheureux. Le jeune homme s’inclina un peu plus profondément qu’il était d’usage, trahissant malgré lui ses manières campagnardes.
— Mes condoléances, madame, dit Ponceludon du ton le plus révérencieux. M. de Blayac était un ami de mon père.
La comtesse leva sur lui les yeux d’un chat qui foudroie un insecte en vol d’un coup de patte.
— Du mien aussi.
Mais son sourire était presque tendre. Elle possédait cet art des courtisanes, des « filles » et des actrices, incompréhensible pour les femmes du commun, de dissocier son sourire de son regard, et de semer ainsi le trouble chez un homme peu familier des moeurs de la cour, des petits pavillons ou des coulisses. Ponceludon était à ce point innocent dans le monde que la passe d’armes lui échappa, sans qu’il en pût admirer les finesses. Il eut pourtant le sentiment d’être moqué. Il allait prendre congé quand il surprit le regard de l’abbé Vilecourt. Un regard de dégoût appuyé dirigé vers ses bottes, tachées de boue. Le jeune ingénieur, piqué au vif, fut assez maladroit pour se justifier.
— J’ai voyagé depuis le pays de Dombes, dit-il.
— C’est votre premier séjour à Versailles ? demanda Vilecourt avec une onction suave.
— J’y suis né pendant une ambassade de mon père.
L’abbé, comme un chien d’arrêt, avait cru flairer un sot, et son instinct lui commandait de lui couper la retraite.
— Ah, courtisan de naissance ! minauda-t-il, en regardant la comtesse avec un air gourmand.
— On peut naître dans une écurie sans se croire cheval, lâcha Ponceludon.
Cette repartie sans appel fut la cause d’un brusque changement de physionomie chez la veuve et son confesseur, mais Ponceludon avait déjà tiré sa révérence, remis son chapeau et tourné les talons.
M. de Laouste s’était assis sur le marchepied de sa voiture pour se remettre d’un vertige. Le conducteur de son attelage restait perché à son poste, sans paraître s’inquiéter du malaise de son maître. Ponceludon s’approcha de l’homme en noir dont l’odeur, dehors, était supportable.
— Vous sentez-vous mal,
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