Ridicule
admirable d’éloquence à son confesseur. Ceux qui aperçurent cet éclair le reconnurent tout de suite comme inégalable, c’est-à-dire réalisant l’escamotage parfait du langage des mots le plus élaboré. Un chroniqueur n’aurait pu en reconstituer la signification qu’en remettant plusieurs fois sa plume à l’encrier. Ce regard avait été éminemment spirituel.
Les paroles qui sortaient de leur propre bouche, toujours en trop grand nombre, étaient redoutées de ces hommes de cour, comme d’imparfaites protections, dont les superpositions aggravaient les béances. Tous auraient rêvé de se taire, de ne plus donner prise. Le mot d’esprit, avec sa miraculeuse condensation de la logique pesante et corporelle, c’était l’armure adamantine dont l’éclat sidérait l’adversaire, et qui n’offrait aucun défaut.
M. de Blayac avait été un de ces étincelants arbitres des conversations, et nombreux étaient ceux dont ses traits assassins avaient causé la perte. L’ironie du sort — d’autres que Bellegarde disaient Justice divine — avait voulu qu’une attaque bâillonnât vivant cet homme qu’on avait surnommé « Bouche-à-feu » pour les effets meurtriers de sa conversation. Louis de Bellegarde contemplait, désolé, le masque de l’ambassadeur figé dans un rictus voltairien que la lumière des cierges accentuait encore. Sa bouche retrouvait dans la mort tout l’esprit que son oeil unique, enfin fermé, ne rayonnait plus. Le marquis s’agenouilla sur le quatrième prie-Dieu, qu’un visiteur venait de quitter.
— Ah, quelle perte irréparable ! murmura Bellegarde en sortant. Croix de Saint Louis, et son fauteuil à l’Académie !
— Dommage qu’il ait eu la médaille pour son esprit et le fauteuil pour son courage !
Bellegarde sursauta. La voix avait des accents autrefois familiers. De l’autre côté du corps, l’homme leva sur lui des yeux où brillait une sombre joie. Les ombres tremblantes accentuaient encore ses traits que le temps avait approfondis, mais le marquis reconnut tout de suite le visage de celui qui avait craché le venin.
— Milletail ! Vous êtes rentré d’Amérique ?
Dans le silence recueilli, si le mort avait parlé, il n’aurait pas causé plus de surprises que le marquis de Bellegarde et son exclamation joyeuse. Tous les yeux se levèrent sur lui, mais le bonheur des retrouvailles l’occupait trop pour s’en soucier. Milletail n’était pas en reste. On pouvait voir la joie épanouir ses traits.
— L’atmosphère empoisonnée de Versailles me manquait, marquis !
— Je m’étonne de vous trouver à son chevet, remarqua Bellegarde en baissant la voix, car il évoquait là la légendaire inimitié du chevalier avec celui qu’on veillait.
Il fallait être jeune à la cour pour ne pas avoir eu vent de la disgrâce du marquis de « Pa-ta-tras », dont le comte de Blayac s’était longtemps vanté. Le chevalier de Milletail, à voix haute, mit un comble à la consternation :
— J’aurais mieux aimé l’enterrer vivant que mort, mais Dieu dispose de nous.
Le prêtre en prière qui fronçait les sourcils depuis le début de l’entretien donna le signal des protestations. Peu impressionnés par ces piaillements, les deux amis se levèrent en choeur.
— Venez souper chez moi, chevalier. Nous serons mieux devant une volaille ! lança le marquis, sans mesurer son insolence, tant ces retrouvailles inattendues le réjouissaient.
Il était prudent dans ses paroles, d’ordinaire, mais il n’est pas de prudence qu’un élan de coeur ne déborde. Les deux gentilshommes se signèrent distraitement, et ceux qui attendaient dans le couloir d’aller s’agenouiller pour un dernier hommage virent sortir deux amis de la chapelle ardente, comme on sort de la taverne. Ils s’échangeaient des nouvelles — et les années d’exil du chevalier offraient à la conversation des étendues fertiles.
Ponceludon, tenant Butor par la bride, découvrit au bout d’un chemin forestier la haute demeure de pierre blonde du comte de Blayac. Il avait passé la nuit dans une auberge trop chère près de Versailles et, s’étant fait faire la barbe et perruqué, il avait galopé dès le matin vers la maison Blayac.
Il fut un peu contrarié du va-et-vient qui animait les abords du perron et faillit rebrousser chemin par peur d’affronter une réception. Le jeune provincial se reprocha aussitôt cette pusillanimité et tendit la bride de
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