Ridicule
Montalieri m’est devenu insupportable.
Bellegarde épiait sa fille.
— C’est Ponceludon, n’est-ce pas ?
Mathilde ne répondit pas.
— Ne la grondez pas, monsieur, intervint la comtesse de Blayac en s’insinuant entre eux. J’ai moi-même été mariée à un vieillard...
Mathilde n’accorda pas un regard à l’intruse.
— Dans sa candeur, poursuivit Blayac, votre fille ne voit pas que le joli Ponceludon est corrompu autant que nous.
Bellegarde, d’habitude tout en ronds de jambes et en circonlocutions aimables, contra la comtesse fièrement.
— Non, madame. Pas autant que nous !
La comtesse eut un petit sourire pointu et moqueur et, tandis que Mathilde regardait le bout de ses souliers d’un air buté, elle se pencha à l’oreille du marquis.
— Vous plairait-il de voir le roi ?
Bellegarde dévisagea la comtesse, incrédule et ravi. Sa physionomie, un instant rebelle, avait retrouvé toute sa souplesse courtisane. Il n’avait jamais approché le nouveau roi — il l’appelait « nouveau » pour cette raison — et ne s’attendait plus à connaître ce bonheur. La réputation
d’ennuyeux qui pointait à son sujet irait inexorablement son chemin, malgré tous ses efforts, il le savait.
Un jour viendrait où il devrait se retirer de la cour, et il avait toujours souhaité savoir tirer sa révérence à temps, avant qu’un ridicule ne ternisse toute sa vie. Bellegarde pensait encore pouvoir se retirer après un dernier feu, en beauté, mais cet éclat qui tardait à venir devenait toujours plus improbable. Le marquis avait trop cultivé la maîtrise de soi pour n’être pas lucide, et il se résignait à ce que la disparition de Ponceludon lui ôte le crédit que son apparition lui avait fait gagner.
Et voilà que, sans qu’il ne lui en coûte la moindre dépense d’esprit, il se trouvait invité à approcher le roi ! Elle ne le regardait plus, à nouveau attentive aux vocalises. Peu lui importait de devoir ce privilège à la seule vanité de la comtesse qui désirait qu’il assistât au triomphe de son abbé.
— « Je suis tout ce qui est, tout ce qui a été, tout ce qui sera, et nul mortel n’a encore percé le voile qui me couvre. »
L’abbé enflait la voix comme un père de l’Église jetant des anathèmes, mais un père de l’Église à bouclettes et talons, et les lèvres passées au rouge. Lors de ses exercices devant la glace, il avait prévu de soutenir le regard du roi sur ce temps fort. Assis au premier rang, le monarque suivait la démonstration depuis plus d’une heure avec une attention bienveillante.
— Les Égyptiens qui gravèrent ces mots sur leurs temples croyaient qu’il n’y a qu’un effet dont on puisse demander quelle est sa cause, mais que la cause elle-même ne souffre point cette question !
Bien cambré, il promenait un oeil de prophète satisfait sur l’assemblée et mesurait au ravissement qui épanouissait les visages des femmes le pouvoir de son verbe. Puis il reprenait ses allées et venues comme un acteur occupant la scène, faisant danser dans l’air ses jolies mains d’abbé.
Louis XVI ne le quittait des yeux que pour chercher un signe d’assentiment de l’homme qui déployait sa pourpre à ses côtés. Mais le cardinal restait de marbre, pasteur soucieux de son troupeau égaré. On ne pouvait guère reprocher à Vilecourt que son impiété notoire, car pour ce qui est des procédés déclamatoires et scéniques, n’était-il pas avéré qu’ils furent utilisés avec succès au service de la vraie foi dès les premiers siècles de l’Église ?
Au troisième rang, Mme de Blayac jetait des regards victorieux à Bellegarde. Le marquis ne boudait pas son plaisir, il aimait l’éclat, et il était servi.
— Or l’univers, continuait Vilecourt de sa voix ondoyante, ne se présentait à ces païens que sous l’aspect d’une cause très puissante, et jamais comme un effet !
Tout en s’écoutant parler avec ravissement, l’ecclésiastique tournait sur lui-même avec grâce, attentif à faire ressortir le galbe du mollet, la nervosité de la cuisse. Cambré comme Matamore, l’abbé risqua un coup d’oeil admiratif à son reflet dans le grand miroir. Il est probable qu’il s’y aima tant qu’il perdit pied à cet instant. Car c’est de ce moment que ses gestes emphatiques approchèrent la danse.
— Il est donc naturel aux hommes de s’arrêter où les effets semblent finir, poursuivit-il en
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