Ridicule
fils mourant de nier cette imprudence pour échapper à ses reproches, et cette sournoiserie puérile et dérisoire le remplit de pitié amère. C’était la rançon de la misère abrutissante.
Grégoire leva les yeux vers le père Timonier, et vit qu’il avait mis son étole et préparait les saintes huiles.
Ponceludon glissa dans la main de l’enfant la petite médaille frappée à l’effigie de Louis XV, Le Bien Aimé.
— Tiens Léonard, le roi l’a bénie pour toi... Il veut te dire...
Submergé par le chagrin, Ponceludon était trahi par sa voix. Elle s’étranglait au passage du mensonge qu’il aime tous les petits enfants de France.
L’enfant regardait la médaille avec ravissement.
— Le curé va réciter des prières, maintenant. Et le Bon Dieu va les entendre.
Ponceludon baisa son front et laissa le père Timonier officier. Ils veillèrent jusqu’au bout de la nuit. Au matin, Léonard dans son délire voulut voir des poissons, puis il s’éteignit.
Le jeune homme et le prêtre sortirent ensemble de la maison emplie des lamentations de la mère de Léonard. Ils restèrent assis sur un banc de pierre sans rien dire, regardant l’horizon vaporeux pendant de longs instants.
— Il suffirait d’assécher ces maudits étangs ! ragea Ponceludon.
— Ne te reproche rien, Grégoire, soupira le prêtre. Tu t’es privé de tout pour émouvoir la cour à notre sujet.
Le jeune homme aurait eu honte de lui décrire en quoi consistait ses privations. Il ne pouvait pas expliquer la cour au brave père Timonier, lui parler des affres du « ridicule » et du « bel esprit ». Le curé l’aurait cru fou.
— Notre cause avance-t-elle à Versailles ?
— Oui... dit Ponceludon peu désireux de rentrer dans les détails de son ambassade.
Il serait toujours temps, un peu plus tard, de mettre le brave homme dans la confidence de son échec. Mais rien ne pressait, tant que l’espoir était l’unique denrée.
— Mais priez quand même, ajouta-t-il. On ne sait jamais.
Le père Timonier soupçonna pourtant que cette invitation à la prière était un aveu d’impuissance, de la part d’un ami si mécréant.
Les jours qui suivirent furent consacrés au domaine. Ponceludon s’épuisait à la tâche, fuyant les regrets et les rancoeurs dans l’ardeur au travail. Le soir, il était tellement fourbu qu’il n’avait plus même la force d’être dépité.
Puis il reprit ses plans, les redessina, les simplifia pour pouvoir se passer des subsides royaux. Il commanda le Traité de la Pomme de Terre de Parmentier, mais la culture n’en était pas assez lucrative, pensa-t-il, pour dissuader les carpiers d’abandonner leur triste industrie. Il imagina d’élever des vers à soie. Les soieries de Lyon pourraient être un débouché prometteur. Mais d’après ses lectures, ces fragiles petits animaux risquaient fort de périr sous un climat aussi malsain. Et puis arriva une lettre. La comtesse de Blayac en était l’auteur.
Baron,
Plus d’une femme rougirait de vous adresser les marques d’estime dont je vous ai gratifié, et vous partez sans même prendre congé. Apprenez, en outre, que je vous ai sacrifié l’excellent abbé de Vilecourt, mon confesseur, qui avait pris ombrage des louanges dont je fatigue toute ma maison à votre sujet. Mais je vous donnerais quittance d’avoir mis mon salut en péril si un signe de vous m’en dédommageait.
Notre sexe aurait bien peu d’avantages si nous ne commandions aux opinions de la cour, et donc aux affaires du royaume. Je m’y suis essayée avec quelques succès, jusqu’à faire de vous l’absent le mieux en cour de Versailles.
Votre amie.
Ponceludon ne balança pas et prit la résolution de partir le lendemain matin. Il sella le nouveau cheval, fit ses adieux à sa mère, et prit le chemin de Paris. En route, il s’aperçut qu’il avait oublié de demander le nom de la nouvelle monture à sa mère, et le baptisa « Mandrin ». Peu lui importait, dorénavant, de cacher l’hommage sous « Mandarin » de peur qu’on ne s’offusque de ce nom rebelle. Mandrin avait, pour bousculer un ordre injuste, tenu en échec une véritable armée envoyée contre lui. Seule sa fin tragique lui donnait tort, pensait Ponceludon.
Six jours plus tard, Ponceludon arrivait devant la demeure de Blayac à la nuit tombée.
Depuis plusieurs jours, la comtesse ne sortait pas de chez elle. La chute de l’abbé lui valait autant de commentaires
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