Ridicule
lumière !
Un paysage champêtre proche servait d’apaisant décor à cette mise en scène. Montalieri, debout derrière Mathilde, posait la main sur l’épaule de son épouse, dans ce qui pouvait passer pour un geste protecteur. En vérité, la longueur des séances avait fait choisir cette pose pour offrir Mathilde en canne à M. de Montalieri.
X
« La religion des courtisans est toute, pour ainsi dire, sur le visage du maître : c’est là leur loi et leur évangile. »
Massillon
Ponceludon passa huit Jours réconfortants en compagnie d’un peintre d’enseignes qui regagnait Lyon dans la même chaise de poste. L’homme rotait, riait trop fort et disait des contrepets licencieux, mais il était agréable au jeune ingénieur, après s’être surveillé et maîtrisé sans relâche, d’avoir pour compagnon de route un être si ignorant des règles du bon goût. Ils s’enivrèrent dans tous les relais de poste, chantèrent des chansons lestes, et Ponceludon s’aperçut après deux jours qu’il n’avait pas pensé à Mathilde. C’était deux jours de gagnés, pensa-t-il, sur les années de regrets qui l’attendaient.
À l’instant même où les voyageurs arrivaient en vue de Lyon, à Versailles, une vingtaine de courtisans étaient réunis autour d’une cantatrice. Les spectacles étaient prisés pour l’occasion qu’ils donnaient de se montrer sans avoir à engager la pointe de son esprit à tout propos, et risquer sa réputation dans un mot malheureux. Assis au premier rang, Bellegarde et Montalieri — toujours en deuil — s’affichaient ensemble, comme il est d’usage entre un père et son futur gendre. Le chevalier n’éprouvait que du mépris pour un homme incapable de doter sa fille, et Bellegarde essayait de dompter son aversion, appréhendant le moment de parler à ce gendre plus vieux que lui qui le dégoûtait. La comtesse Amélie de Blayac était seule. Vilecourt, pour une fois, ne l’accompagnait pas, retenu par l’écriture d’un sermon, exercice dont il n’était pas coutumier. Le lendemain même, sa protectrice avait obtenu que le roi en personne assistât à sa démonstration de l’existence de Dieu qu’il devait donner dans le Grand Salon d’Apollon. Aussi était-elle souveraine, plus encore qu’à l’accoutumée, et songeait avec délectation à l’envie dont elle était l’objet.
Il lui sembla même que la cantatrice la regardait tout particulièrement pour lui rendre hommage des strophes de la Chanson du Bel Esprit :
« Le bel esprit au siècle de Marot,
Des dons du ciel passait pour le gros lot.
Des grands seigneurs, il donnait l'accointance,
Menoit parfois à noble jouissance, Et, qui plus est, faisait bouillir le pot. »
Le marquis crut avoir une vision.
Habillée d’une somptueuse robe de satin rouge, Mathilde traversa le salon et vint s’asseoir sur un fauteuil vide, à côté de son père. Il n’avait jamais pu entraîner sa fille à la cour depuis l’époque où, enfant, il l’emmenait « voir le roi ». Mathilde n’ayant pas voulu choisir l’une des robes offertes par Montalieri, elle avait fait reprendre par Charlotte une robe de sa mère, et l’effet, aux yeux du marquis, était saisissant.
La jeune femme soutint le regard du chevalier de Montalieri qui se leva. Sans qu’un mot ne soit nécessaire, les intentions de Mathilde lui étaient évidentes : n’avait-il pas fait rajouter expressément par l’officier de justice dans leur contrat de mariage une clause impérative stipulant que sa future femme ne devait eh aucun cas paraître à la cour ?
Pareil manquement, de la part de Mathilde, ne pouvait avoir qu’une signification : la rupture du contrat et donc de leurs projets matrimoniaux. Le vieil homme salua Bellegarde et marcha lentement vers la porte, d’un pas digne et lourd.
« Or est passé ce temps où d’un bon mot,
Stance ou dixain on payait son écot,
Plus n’en voyons qui prennent pour finance
Le bel esprit ! Le bel esprit ! Le bel esprit ! »
— Ma fille que fais-tu ici ? s’étrangla en sourdine le marquis. Tu renonces à vingt mille livres de rentes ! Tu perds la raison ?
— Je romps cet engagement.
— Sur un coup de tête ? s’étonna Bellegarde (mais son étonnement était déjà teinté de soulagement). Il est temps encore de te jeter aux pieds de Montalieri !
— Non, père, repartit Mathilde en regardant droit devant elle. Ma décision est prise. Épouser M. de
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