Rive-Reine
république, était unanimement approuvé par les vétérans suisses.
– Il fallait profiter de cette occasion pour rappeler à mes compatriotes ce que nous devons à Napoléon avec l’Acte de Médiation de 1803 et, aussi, que des régiments de chez nous, qui avaient servi vos rois, ont tout aussi vaillamment servi l’empereur, jusqu’à la Berezina. Et là, j’y étais, dit un gaillard qui semblait jouir du respect de tous ses amis.
– Et puis, il faut affirmer la neutralité helvétique, montrer que nous ne sommes pas inféodés à la Sainte-Alliance, dit un autre.
Le premier reprit la parole :
– Depuis le xv e siècle, les soldats suisses ont souvent été au service de la France dans les batailles, mais le 10 août n’en fut pas une. Ce fut ce qu’on nomme, fort justement, un massacre conduit par des assassins avinés, des sans-culottes et des tricoteuses venus pour piller et qui se souciaient comme d’une guigne de la république et de la monarchie !
Puis, se tournant vers Fontsalte, il ajouta :
» En étant présent à Lucerne aujourd’hui, vous marquez, mon général, que la France du 10 août n’était pas, comme veulent le faire croire aujourd’hui les polygraphes stipendiés des Bourbons, la France de Bonaparte !
Quand Axel approcha, Fontsalte lui sourit et, pour la première fois, se laissa aller à donner une bourrade amicale à son fils.
– Vous m’avez fait jouer un rôle que je n’avais aucun droit de tenir et voilà le résultat. De quoi me faire remarquer par les espions de Louis XVIII, qui doivent pulluler, dit-il à Axel.
– Vous l’avez joué parfaitement. Mon seul regret est que vous n’ayez pas, vous aussi, endossé votre uniforme. Mais venez avec moi. La famille, si je puis dire, vous attend.
– La sorcière Flora ne va-t-elle pas m’arracher les yeux ? demanda Blaise, mi-sérieux, mi-plaisant.
– Ma marraine a décidé de mettre un terme à toutes les rancœurs passées. C’est le jour de la réconciliation acceptée. Ma mère l’espérait autant que moi.
L’accueil de Flora, comme il fallait s’y attendre, manqua de chaleur. Celui de Julien Mandoz fut empreint du respect qu’un officier subalterne, même de la Garde pontificale, doit à un général commandeur de la Légion d’honneur. Quant à Tignasse, au risque de faire frémir sa sœur, elle osa comparer le père au fils.
– Non seulement, bien sûr, Axel a vos yeux, monsieur, mais il est aussi grand et aussi robuste que vous !
Le dîner fut presque joyeux et, quand la serveuse offrit, de la part de l’hôtelier, une bouteille de liqueur « pour le général français qui avait apporté des fleurs au lion », Flora, s’adressant à Fontsalte, dont elle avait maintenant admis la présence, fit allusion au plus mauvais souvenir qu’elle gardait du mois de mai 1800.
– Qu’est devenue l’épaisse brute qui vous servait d’ordonnance ? Vous vous souvenez de ce qu’il m’a fait !
– L’adjudant Jean Trévotte est toujours à mon service, fidèle, dévoué et seul dans la vie depuis que les jacobins blancs, comme on a appelé les ultraroyalistes, ont massacré ses deux frères, leurs femmes et leurs enfants. C’était à Avignon, pour fêter, au lendemain de Waterloo, le retour d’un Bourbon sur le trône de France. Et ces assassins se disaient chevaliers de la Foi ! conclut Fontsalte.
– La racaille est de tous les massacres et de tous les pillages. Toutes les causes, bonnes ou mauvaises, servent de prétextes aux meurtriers et aux voleurs, constata Julien Mandoz.
Flora comprit la leçon et, prenant son verre en main, vint, sans un mot, le heurter contre celui du général avant d’y porter les lèvres.
– Embrassez-vous, lança Tignasse.
Fontsalte se leva pour s’exécuter avec bonne grâce et Flora se prêta sans réticence au jeu. La tablée applaudit et Julien Mandoz porta un toast à la bonne entente.
Ce soir-là, au moment de s’endormir, Axel se sentit le cœur léger. Il avait voulu et organisé cette réconciliation. Avant de s’endormir, il regretta que Blaise de Fontsalte, refusant par délicatesse de passer la nuit sous le même toit que Charlotte, eût décidé de reprendre avec Trévotte, qui n’avait pas osé se montrer à Flora, la route du retour.
À Vevey, on comptait sur une vendange abondante. Les pluies d’août avaient fait gonfler
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