Rive-Reine
dans une tenue de chasse plus somptueuse que celle qu’elle possédait, ce qui lui donne un air à la fois martial et jouisseur. Le peintre lui a fait les joues empourprées, comme aux fêtards qui sortent d’un banquet, ce que confirmerait son tricorne à festons de dentelle posé de guingois. Mais j’aime ce portrait car, lorsque j’étais enfant, j’assistais toujours avec envie au départ de mes parents pour la chasse. J’ose espérer que vous viendrez un jour à Fontsalte, où ma mère, qui connaît votre existence, sera heureuse de vous accueillir. Malgré ses soixante-quatre ans, elle a encore bon pied bon œil et ne rate pas une perdrix à cent pas !
Dans la salle à manger, d’autres tableaux retinrent l’attention d’Axel. Un très grand, représentant la Déclaration d’indépendance des États-Unis, faisait pendant à une toile illustrant la bataille de Yorktown.
– Mon père y prit part, en qualité d’aide de camp de Rochambeau, dit Blaise, qui entraîna son invité dans sa chambre, pour lui montrer une autre œuvre d’un peintre américain.
» Voici Rochambeau donnant ses ordres, en présence de Washington et de La Fayette, la veille de la bataille de Yorktown. Le cavalier prêt à s’élancer, que vous voyez à gauche, est mon père, commenta le général.
À cet instant, Axel Métaz ressentit, pour la première fois, une certaine fierté. N’était-il pas le petit-fils de ce héros de la guerre de l’Indépendance ?
Quand, un peu plus tard, Charlotte se présenta, suivie de Flora, Axel fut étonné de voir que les deux femmes arrivaient de la rue de Bourg dans la berline du général, conduite par Jean Trévotte.
– Alors, il ne te fait plus peur, le monstre unijambiste ? glissa le jeune homme à Flora, tandis que l’adjudant servait un vin blanc apéritif, à la mode vaudoise.
– Nous nous sommes expliqués, une bonne fois pour toutes, dit l’Italienne d’un ton pincé. Et puis je dois me montrer charitable avec un infirme, non ?
– Pareille clémence est tout à ton honneur, marraine, car ne m’as-tu pas avoué qu’il t’aurait un peu violée, autrefois ? Après, toutefois, maman me l’a dit, que tu eus tenté de l’occire d’un coup de couteau !
– Ça, c’est mon affaire. D’abord, ce ne fut pas vraiment un viol, non. J’ai cédé à sa bestialité pour sauver ta mère. Et puis tu m’ennuies avec tes questions ! Nous avons décidé, ce malotru et moi, d’oublier tout ce qui s’est passé en ce temps-là.
– Le temps où tu espionnais les Français pour le compte des Autrichiens, n’est-ce pas !
– Tu sais ça aussi !
– Je sais cela, Flora, et bien d’autres choses. Mais ne prends pas cette mine désolée. Je suis fier de t’avoir pour marraine, car tu es une femme de caractère. Quand tu fais une bêtise, c’est avec conviction !
Ayant parlé, il embrassa l’Italienne, qui lui rendit affectueusement son baiser.
À l’issue de cette journée qui vit l’installation de Fontsalte à Montchoisi, Axel demanda à sa mère, dont il devina qu’elle logerait souvent sous le toit du général, ce qu’elle comptait faire du moulin sur la Vuachère.
– Peut-être devrais-je le vendre, avec le terrain attenant. Un certain M. William Haldimand, bourgeois d’Yverdon, est en train d’acheter tout le Nantou 7 de la sortie d’Ouchy jusqu’à la Vuachère. On dit que cet homme très riche veut créer un vaste parc et construire une sorte de palais. On dit aussi qu’il ne veut pas de voisins. Alors, c’est peut-être le moment de vendre, à moins que tu ne veuilles conserver le moulin. Tu es mon héritier, après tout. Si tu le veux, je te le donne.
– J’allais vous demander d’en disposer. C’est un endroit que j’aime, isolé, tranquille, et je peux venir en barque de Vevey à Ouchy.
– C’est bien volontiers que je t’en fais cadeau. C’est une maison pleine de souvenirs. Le domaine de la Vuachère appartenait autrefois à Georges Rouge, un notaire, chef de la franc-maçonnerie vaudoise. On tint chez lui, en 1798, des réunions politiques. Quant au moulin lui-même, il existe depuis 1260. Il alimentait l’hospice tenu par un ermite. On dit que ce fut la première auberge ouverte aux voyageurs à Lausanne. De la propriété, tante Mathilde n’acheta que le moulin pour…
– Abriter ses amours avec un homme marié. D’ailleurs, cette
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