Rive-Reine
l’officiant prononçait, d’une voix ferme et grave, ces mots, Axel jeta un regard à sa mère. Tête inclinée, elle pleurait doucement.
Dans son allocution, le ministre, qui connaissait bien les familles des mariés, forma des vœux chaleureux « pour ces nouveaux foyers vaudois où seront appliquées avec ferveur les leçons des Saintes Écritures » et remit aux époux la bible de mariage. Après avoir béni les deux couples, le pasteur fit signer aux témoins le registre, qui tenait lieu de document officiel depuis qu’en 1821 la responsabilité de l’état civil avait été rendue aux ministres du culte.
Sous leur voile fluide, Nadine et Nadette, belles filles plantureuses aux yeux vifs, plus identiques que jamais, ne marquaient aucune émotion. Elles souriaient, à l’aise au bras d’époux compassés, serrés dans leur frac neuf, contraints à relever le menton par le col amidonné de leur chemise. On devinait qu’au contraire des jeunes femmes, qui, gracieuses, avançaient majestueusement, en adressant de part et d’autre des signes de reconnaissance – Nadine décocha même une œillade à Axel – les mariés eussent volontiers accéléré le pas !
Les toilettes des dames du cortège furent détaillées par les Veveysannes présentes dans l’assistance. On apprécia notamment l’élégance pleine de sobriété de M me Métaz. Vêtue d’une robe vert amande, dont une modestie de dentelle réduisait le décolleté, elle allait au bras d’Axel, les yeux baissés mais ravie. Soucieuse de ne paraître en rien provocante, la divorcée, à qui la quarantaine triomphante conférait une séduction enviée par de plus jeunes femmes, dissimulait la belle chevelure blonde de Dorette sous un grand chapeau de paille d’Italie où floconnaient des touffes de mousseline blanche.
En ce bel après-midi de mai, sur la terrasse ombragée de Saint-Martin, au cours des congratulations, tandis que les cadets du collège faisaient partir quelques pétards, Charlotte fut abordée avec maintes complaisances et gracieusetés par les mères ayant des filles à marier. On savait maintenant, à Vevey, que le fils Métaz, bien qu’il ne fût Métaz que de nom, constituait un beau parti, puisque son père putatif, en partant pour l’Amérique, lui avait laissé ses affaires. De surcroît, Axel était beau, d’un maintien distingué, distant sans afféterie. « Un parfait Vaudois », disaient les hommes.
Haute stature, larges épaules, taille étroite, jambes longues, teint coloré, cheveux drus et frisés, le fils de Charlotte respirait la santé et la noble assurance de l’entrepreneur actif et conquérant. Son regard bicolore ajoutait à sa physionomie, avec le charme de l’originalité, ce rien de mystère qui plaît aux femmes. Les Veveysannes, sans avoir jamais vu le général Fontsalte, imaginaient, avec raison, que le véritable père de ce garçon devait être bel homme et trouvaient soudain à l’adultère de Charlotte des circonstances atténuantes. Comme on ne connaissait à Axel aucune fréquentation attitrée, que personne ne l’avait jamais vu « aller aux filles », qu’il avait bizarrement choisi sa mère pour cavalière, toutes les demoiselles, que le mariage d’une amie émoustille toujours, faisaient des mines, jouaient de l’écharpe ou du jupon en rougissant. Les mieux dotées, conscientes de leur avantage dans un pays où le montant de la dot 9 , comme l’importance du trousseau, comptait, osaient même demander à leur mère de trouver prétexte à invitation, un jour prochain, de M me Métaz et de son fils.
Au cours du thé et de la verrée 10 qui, suivant la tradition, se tinrent chez les Ruty, dont le vaste jardin pouvait accueillir une foule d’invités, les jeunes filles servirent le thé aux dames et passèrent des plateaux garnis de bricelets 11 , des paniers emplis de merveilles 12 . Pendant ce temps, les messieurs vidaient quelques bouteilles de dézaley ou de saint-saphorin et croquaient le taillé 13 aux grabons 14 qui leur graissait les doigts.
Axel bavardait avec l’épouse du syndic, quand Nadette le tira par la manche.
– Viens t’occuper un peu de Nadine. Elle a mal au cœur, dit la jeune femme à voix basse.
– Mais elle a un mari tout neuf pour s’occuper d’elle ! dit Axel en riant.
– Justement, c’est pas la peine qu’on les voie ensemble quand elle a ses nausées, hein ! Tu comprends. Va lui
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