Rive-Reine
divorcés au Saint Repas, répliqua le jeune homme, ironique.
– Mais enfin, Élise elle-même est bien consciente que ce n’est pas la place d’une divorcée à une cérémonie de mariage !
– Ce n’est pas du tout son avis. Elle est bien consciente en revanche, comme vous, que Nadine est enceinte de deux mois et que c’est pour cela que les mariages de vos filles, prévus après les vendanges, sont fortement avancés ! Alors, la robe blanche, le voile virginal, la fleur d’oranger, hein ! lança Axel.
Le notaire fronça le sourcil et rectifia, pour se donner une contenance, la pile de dossiers posée sur son bureau.
– D’où tiens-tu que Nadine serait comme tu dis ?
– De l’intéressée elle-même. Depuis l’enfance, nous n’avons jamais eu de secret, les jumelles et moi.
– Bon, en admettant, qu’est-ce que ça change à la situation de ta mère ? demanda Ruty sèchement.
– Ça change que vous vivez en pleine hypocrisie, que votre morale est une morale de Tartufe ! dit Axel, s’animant soudain.
– Je ne comprends rien à ton attitude. Ton intérêt même commande qu’à Vevey, tout au moins, tu ne te montres pas trop souvent avec ta mère.
– C’est justement pour faire taire les commères que j’ai choisi, ce qui ne se fait guère, j’en conviens, ma mère pour cavalière. À mon bras, personne n’osera la moindre insolence.
– Mais enfin, Axel Métaz, pense au nom que tu portes !
– Un nom d’emprunt ! Encore une hypocrisie qui a duré vingt ans !
– Reprends-toi, mon garçon ! Élise serait contrariée si elle avait connaissance de cette conversation.
– Elle serait surtout malheureuse d’être privée de la présence de sa meilleure amie, le jour du mariage de ses filles. Et puis, Charles, elle serait plus malheureuse encore si, par suite d’une indiscrétion, elle apprenait que son mari, ce sommet des vertus domestiques, membre influent du consistoire, couche avec des serveuses de taverne dans une chambre meublée, quand il se rend à Genève pour affaires, lança le jeune homme, excédé.
– Quoi ? Comment oses-tu ?
– Vous n’avez pas de chance. Martin Chantenoz visite souvent un ami peintre qui loge rue Punaise 8 , en face de la maison où vous commettez vos frasques. Il vous a vu entrer là, accompagné d’une personne connue pour la générosité de son accueil. Et vous savez, Charles, comment Martin peut se montrer indiscret quand il a pris un verre de trop !
Le notaire blêmit et observa un silence, qu’Axel se garda de rompre. Après avoir parcouru plusieurs fois de long en large son cabinet de travail, sous le regard amusé de son visiteur, Charles Ruty s’assit et reprit la parole sur le ton dogmatique du notaire qui veut terminer une affaire :
– Tout bien pesé, je crois qu’il n’y a pas d’inconvénient majeur à la présence de ta mère aux mariages de Nadine et de Nadette. Élise n’aura pas besoin d’envoyer une invitation protocolaire, tu feras la commission, n’est-ce pas ?
Cette dérobade d’arrière-garde mit Axel Métaz au comble de l’exaspération.
– Assez de grimaces, Charles Ruty ! C’est vous qui enverrez l’invitation à ma mère. Une invitation protocolaire et respectueuse. C’est vous qui veillerez à ce que, pendant la cérémonie, comme à table, pour le repas de noces, elle soit à la place qui lui revient ! C’est entendu, n’est-ce pas ?
Vaincu, Charles Ruty hocha la tête, en signe d’assentiment résigné. Axel sortit sans rien ajouter. Avant de quitter la maison, il fit un détour par l’appartement pour dire à Élise : « Tout est arrangé. »
Quelques jours plus tard, l’ex-M me Métaz annonça qu’étant invitée aux noces des jumelles Ruty elle serait heureuse d’entrer à l’église Saint-Martin au bras de son fils.
Ce fut, de mémoire de Veveysan, un très beau double mariage que celui des sœurs Ruty. Le notaire étant une personnalité estimée, toute la bourgeoisie locale se pressait sous les voûtes de l’église Saint-Martin, pour assister aux promesses des époux, à l’échange des anneaux, symbole de fidélité, et entendre le pasteur, robe noire et rabat blanc, énoncer la phrase solennelle : « En conséquence de vos engagements, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. » Tandis que
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