Rive-Reine
population.
Seuls les Grecs, acceptés et soutenus par des comités très actifs, jouissaient d’une relative sympathie, depuis que les cent cinquante-huit hébergés dans des familles genevoises avaient adressé, le 23 mai 1823, dans leur langue et leur écriture, une lettre de remerciements, dont le général Chaslin livra la traduction à Axel Métaz.
« Dénués, depuis le début de cette année jusqu’à ce jour, de l’argent nécessaire à notre subsistance quotidienne, nous avons été hébergés charitablement par les généreux Helvètes ; privés du moyen de retourner dans notre chère patrie, nous avons été pourvus par eux de tout le nécessaire ; nous, Hellènes soussignés, témoignons donc par cette lettre notre reconnaissance à nos bienfaiteurs, priant le Dieu tout-puissant de leur accorder de jouir du bonheur et de la paix, de l’abondance de tout bien, d’une liberté éternelle, d’une concorde inaltérable, des lauriers de la vertu, des dons impérissables des arts et des sciences dispensatrices de richesse, et de l’assistance du ciel 6 . » En revanche, les Allemands qui traversaient Genève pour s’enrôler au côté des patriotes grecs n’avaient pas bonne presse, non plus que les réfugiés italiens, devenus trop nombreux et trop exubérants. D’après certains fonctionnaires, ils étaient vingt-deux mille, dispersés principalement dans les cantons de Genève et de Vaud. Bon nombre de citoyens genevois considéraient que ces proscrits, les carbonari notamment, fomentaient, du territoire helvétique, des attentats et des rébellions dans leur pays, ce qui agaçait les souverains membres de la Sainte-Alliance, dont les ambassadeurs ne cessaient de faire des représentations à la Diète fédérale, accusée de « nourrir l’hydre révolutionnaire » ou de proclamer que la Confédération était ouverte à tout venant. Les Genevois ne voulaient pas encourir les foudres de l’étranger, avec qui ces hôtes, devenus peu à peu indésirables, risquaient de les fâcher. Une telle attitude conduisait parfois des proscrits au suicide, comme un certain Lutzi, ancien membre de la junte d’Alessandria, qui se proposait de chasser les Autrichiens du Piémont.
Comme Axel demandait des nouvelles de Buonarroti, le révolutionnaire à qui Adrienne avait fait porter de l’argent, il apprit qu’après la mesure d’expulsion dont il avait fait l’objet cet homme était resté un temps caché, dans la maison des Fazy, à Russin.
Axel ne disposait d’aucune recommandation pour se présenter chez les Fazy, qu’il ne connaissait que de nom. Il sut bientôt par le général Chaslin, introduit dans tout Genève, que les Fazy étaient des huguenots, originaires du Queyras, en Dauphiné. Pour échapper aux persécutions religieuses, consécutives à la révocation de l’édit de Nantes, ils s’étaient réfugiés en Suisse, comme beaucoup d’autres. Devenus bourgeois de Genève, ils s’étaient enrichis dans la fabrication des toiles peintes et des indiennes. Ils possédaient au lieu dit Clébergues, du nom d’un ancien moulin, de grands terrains. Jean-Jacob, que sa mère préférait appeler James, était, parmi les Fazy de la dernière génération, celui dont on parlait le plus au café Papon, en raison de ses activités politiques. Cet homme, alors âgé de trente ans, avait fait ses premières études au collège de Genève. Il avait été ensuite envoyé avec son frère aîné, Jean-Louis, à l’institut des frères moraves, à Neuwied, en Allemagne. Les deux garçons devaient y passer quatre années studieuses.
Le régime éducatif des frères moraves était dur, mais instructif, et l’on ne transigeait pas sur la discipline. Après ce séjour, James avait suivi des cours de droit et d’économie politique, puis on l’avait envoyé dans la région parisienne, à Choisy-sur-Seine, où l’un de ses oncles possédait une fabrique d’indiennes. Séduit depuis l’adolescence par les théories de Jean-Jacques Rousseau, il s’était intéressé très tôt à la politique, tout en poursuivant sa formation de négociant et d’industriel.
– C’est un homme entreprenant et ambitieux et, bien que jouissant d’une réelle aisance, tout acquis aux idées généreuses de la Révolution, précisa Chaslin. Il a, comme on dit, un peu roulé sa bosse puisqu’on le trouve en 1809 dans une fabrique d’indiennes à Bolbec, en Normandie ; en 1810, il est à
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