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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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jeunes tilleuls, frênes ou ormeaux et pourvue de bancs, à partir de la promenade Saint-Antoine, par une passerelle qui enjambait la rue des Casemates. Axel et les deux femmes s’engagèrent sur le chemin qui serpentait à travers les gazons. Ils aboutirent à la poterne du fameux pont, que M me  Laviron n’avait jamais emprunté, bien qu’il eût été inauguré depuis plus d’un an.
     
    Ce modèle de pont de fer avait été imaginé par des Français, les frères Marc et Camille Seguin, d’Annonay, en Ardèche. Ces ingénieurs, neveux de Joseph de Montgolfier, avaient étudié la résistance des métaux, ce qui leur avait permis de fabriquer des câbles métalliques et de lancer sur le Rhône, entre Tain-l’Hermitage et Tournon, le premier pont suspendu d’Europe. Une commission genevoise, conduite par Guillaume Henri Dufour, s’était rendue en France pour étudier l’ouvrage des Seguin, puis Marc, l’aîné des frères, avait été invité à Genève, afin de donner un avis sur le projet conçu par le polytechnicien Dufour.
     
    Restait à financer le pont adapté aux besoins locaux. En créant une société privée, qui avait avancé les capitaux nécessaires à la construction, en échange d’un droit de péage, très minime, mais perceptible pendant vingt ans par les actionnaires, Dufour avait résolu le problème. En trois jours, soixante-dix souscriptions de cinq cents florins avaient été recueillies pour lancer le premier pont de fer genevois qui, long de quatre-vingt-deux mètres, reliait maintenant la promenade Saint-Antoine au quartier de Florissant.
     
    – Jamais je ne passerai là-dessus et je te défends d’en rien faire, Liane ! dit M me  Laviron à sa fille.
     
    – Mais voyons, maman, beaucoup de promeneurs traversent chaque jour. C’est très solide. Et puis, vous connaissez M. Dufour, c’est un génie, dit papa, et tout a été calculé par lui. Je vous assure qu’il n’y a aucun danger à marcher sur ce pont, insista Juliane, un peu gênée devant Axel par la pusillanimité et l’ignorance de sa mère.
     
    – Taratata, tout le monde peut faire une erreur de calcul, les génies comme les autres, Liane, répliqua M me  Laviron.
     
    Axel avait déjà eu l’occasion de constater, d’une part, que M me  Laviron ne brillait pas par l’intelligence, d’autre part, qu’elle traitait sa fille de vingt ans, affublée du diminutif de Liane, comme une enfant.
     
    – Allons, dit Juliane en prenant résolument le bras d’Axel, qui ne savait quelle contenance adopter.
     
    – Très bien, j’irai avec vous et, si nous tombons, nous serons ensemble, dit M me  Laviron, se résignant sans plaisir.
     
    Axel acquitta le droit de péage auprès d’un employé amusé et offrit son bras libre à la mère de Juliane.
     
    Muette, M me  Laviron avançait comme sur des œufs, jetant des regards inquiets sur la tranchée des fortifications qu’enjambait l’ouvrage. Au milieu du pont, elle observa d’une voix blanche :
     
    – Sentez-vous comme les planches vibrent sous nos pieds ?
     
    – C’est un pont suspendu et les gros câbles métalliques qui le supportent lui confèrent à la fois souplesse et résistance. Les pas ébranleraient un pont de planches ordinaire et pourraient le conduire à la rupture. Ne craignez rien, madame.
     
    D’une pression de la main sur son avant-bras, Juliane remercia Axel. La déambulation se poursuivit un moment, puis, par le même chemin, le trio regagna la promenade Saint-Antoine. Le soir même, au cours du repas auquel fut convié Axel, M me  Laviron raconta à son mari, comme un exploit, sa traversée du pont de fil de fer de l’ingénieur Dufour.
     
    – Ces grosses cordes métalliques qui le tiennent en l’air en font comme une sorte de balançoire… qui ne se balance pas, conclut-elle, interprétant l’explication fournie par Axel.
     

    Au lendemain de cette sortie, Axel, qui souffrait d’être toujours sans nouvelles d’Adrienne, se rendit au café Papon, imaginant que les grognards du général Chaslin, ou quelques carbonari réfugiés, pourraient, sinon lui en donner, du moins lui permettre de la situer en Europe. Ne pouvant procéder que par allusions à ceux qui soutenaient les mouvements révolutionnaires, sans faire mention de la fille de Fontsalte, il ne recueillit aucune information sur Adriana. Il découvrit, en revanche, qu’une certaine xénophobie commençait à se manifester dans la

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