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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Martin.
     
    – J’aurais voulu bonheur et gloire, une femme à aimer et une carrière littéraire accomplie, confessa un soir Martin. À quarante-cinq ans, tout est fixé de la vie d’un homme. Femme et carrière littéraire sont devenues inaccessibles. Je ne puis qu’être le spectateur de ma propre existence. J’y trouve un certain confort moral, puisque, ne dépendant de personne et n’ayant personne qui dépende de moi, je puis me conduire comme bon me semble et m’en aller sans déranger quiconque.
     
    Il entraînait souvent Axel au Caveau genevois ou à la Société lyrique pour entendre poètes et chansonniers. Leur préféré était Jean-François Chaponnière 11 . Ce fils d’un immigré venu de Constance, après avoir chansonné l’empire, chansonnait la monarchie, les momiers 12 et les papistes, dont on assurait qu’ils revenaient en force à Genève. En 1820, un refrain, que Chantenoz reprenait avec les auditeurs, l’avait rendu célèbre :
     
    Qu’il est beau, ce mandement
    De monsieur le grand vicaire !
    Sa pastorale vraiment
    À tout bon dévot doit plaire ;
    Car il dit à son troupeau :
    S’il est du mal sur la terre,
    C’est la faute de Voltaire,
    C’est la faute de Rousseau 13 .
     
    Au Caveau, les deux amis entendaient aussi Salomon Cougnard chanter Fanfan , Félix Chavannes détailler la Reine Berthe , Gaudy-Lefort lire ses Esquisses genevoises . Venu de la Société lyrique, rivale du Caveau, John Petit-Senn 14 , jeune poète ricaneur voltairien, stigmatisait avec finesse et un humour acide les travers de la société genevoise. Quand le Caveau littéraire de Paris s’était, dans une chanson, moqué des Suisses au service des armées étrangères, Petit-Senn avait répliqué avec tant de piquant qu’on le considérait, depuis, comme barde officiel de la République de Genève.
     
    Un soir, Axel Métaz obtint de M. Laviron l’autorisation de conduire Juliane au Caveau genevois. La jeune fille brûlait, depuis longtemps, d’assister à une séance pour entendre les chansonniers, dont ses parents ne goûtaient guère les effets. Anicet Laviron avait refusé d’y emmener sa sœur. Il méprisait les poètes du cru, qui, d’après lui, « payés par les bourgeois de la ville basse, se moquaient prudemment des mœurs genevoises pour donner bonne conscience à la société établie, dont ils se gardaient bien de révéler la cupidité et l’hypocrisie ». Quant à M me  Laviron, elle estimait que le talent d’un poète est nuisible, s’il ne sert pas la morale !
     
    C’est au Caveau que Juliane fit la connaissance de Martin Chantenoz, de qui elle apprécia l’érudition et la causticité. Comme plusieurs dames et demoiselles de la ville haute, la fille du banquier allait souvent assister aux cours des grands professeurs de l’Académie. Elle avoua un penchant pour la botanique. Martin Chantenoz, malicieux, supposa que la réputation universelle de Pyramus de Candolle pouvait expliquer cet engouement, qu’il estima plus mondain que scientifique.
     
    – C’est exactement ça ! Si M. de Candolle était moins séduisant, bien qu’il soit, comme dit mon frère, du parti des « négatifs 15  », le règne végétal aurait certainement moins d’attraits pour moi, admit la jeune fille en riant.
     
    Cette réaction de Juliane plut à Chantenoz, étonné qu’une demoiselle de la rue des Granges pût être instruite, avoir de l’esprit, de la simplicité et un physique des plus avenant. En raccompagnant Juliane, qui s’étonna de n’avoir jamais eu l’occasion d’entendre un exposé de M. Chantenoz, dans aucune des sociétés plus ou moins savantes qu’elle fréquentait, Axel brossa un rapide portrait de son mentor. Puis il conclut, pour faire comprendre à la jeune fille que seule une bonne recommandation faisait défaut à ce maître :
     
    – C’est un homme remarquable et je lui dois beaucoup. Si le recteur de l’Académie pouvait être informé, par quelque importante personnalité locale, des connaissances, des mérites et de la compétence du professeur Chantenoz, je suis certain qu’il l’inviterait à poser sa candidature à la chaire de philosophie ou d’esthétique. Seulement, Martin ne va pas à l’église, n’a pas d’amis dans le parti au pouvoir et se refuse à toute démarche auprès des gens en place, estimant cette façon de faire vulgaire et incompatible avec sa dignité.
     
    – C’est de l’orgueil et du bon, dit

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