Rive-Reine
Lyon, dans une maison de commerce appartenant à son père. Il y apprend l’anglais et l’italien, alors qu’il possède déjà le français et l’allemand. En 1814, il est à Paris quand les Alliés, vainqueurs de Napoléon, y entrent et, tout de suite, il se range au côté de ceux qui combattent le gouvernement de la Restauration et les Bourbons. Quand il revient ici, il se dit déçu et agacé par la Constitution, prétendument aristocratique, que l’on vient de donner à Genève. C’est à ce moment-là qu’il décide de quitter le commerce pour se consacrer au journalisme et à la littérature.
– Je n’ai jamais rien lu de lui, avoua Axel.
– Il a cependant publié, en France, en 1818, une brochure, le Privilège de la Banque de France considéré comme nuisible aux transactions commerciales , qui le fait considérer comme un économiste. Il y annonce aussi, implicitement, une forme d’engagement politique qui ne plaît guère aux conservateurs.
– Mais comment a-t-il été amené à cacher Buonarroti, le carbonaro le plus compromettant ? s’étonna le Vaudois.
– Mais, mon garçon, parce qu’il est depuis longtemps affilié à la charbonnerie. Si l’on en croit certains, il fait même partie de la Haute-Vente, qui est l’organisme directeur. On dit que, s’il est revenu à Genève en 1821, c’est pour servir de trait d’union entre la charbonnerie française et l’organisation de Buonarroti. Et aussi recruter des adeptes dans les départements français limitrophes de la Suisse. Je sais qu’il a rendu visite à La Fayette, chef des carbonari français, au château de La Grange. C’est aussi un franc-maçon. Il appartient, comme son frère, à la loge des Amis Sincères.
– J’ai lu qu’il fait partie de ceux qui prônent la destruction des fortifications, dit Axel.
– C’est surtout une idée de son parent M. Fazy-Pasteur, mais il la soutient et il a raison. On a calculé que la remise en état des remparts et des bastions coûtera un million huit cent mille florins ! Une fortune ! Vous voyez bien, Axel, que Genève étouffe dans son enceinte, devenue inutile. Car qui voudrait aujourd’hui attaquer la Suisse, pays neutre ! Mieux vaut, comme M. Fazy-Pasteur le suggère, créer de nouveaux quartiers, où les gens seraient logés plus confortablement qu’à Saint-Gervais ou dans les vieilles maisons sur pilotis, édifiées en l’île !
À l’issue de l’entretien, Axel se préparait à prendre congé du général, qui regrettait de n’avoir pu, comme son ami Fontsalte, se rendre en Grèce, quand un des grognards intervint :
– Ce Buonarroti, qui se cache, a une nouvelle victime sur la conscience, monsieur. Depuis deux ans, il avait circonvenu adroitement un jeune Français, Alexandre Andryane, envoyé ici par ses parents pour étudier loin des tentations parisiennes et d’une certaine coquette, dont il était amoureux. Il y a quelques mois, Buonarroti l’a chargé d’une mission en Italie. Eh bien, ce garçon de vingt-sept ans s’est fait prendre par les Autrichiens avec des papiers compromettants. Il a été arrêté, condamné à mort 7 et, à l’heure qu’il est, on l’a sans doute enterré.
– Pourvu que ce jeune étourdi n’ait pas trop parlé ! dit le général.
Chaslin raccompagna Axel jusqu’au bout de la Treille et, chemin faisant, tira un petit livre de sa poche et le lui tendit.
– Tenez, mon ami, c’est le dernier ouvrage de James Fazy. Cet homme ira loin. Il a des idées et la volonté de les faire triompher. Il souhaite « reconstituer l’Europe sur des bases libérales et sur le principe de la souveraineté des peuples ». Méditez ça, mon jeune ami.
Axel remercia et lut le titre : Les Voyages d’Eterleb .
– Notez, dit Chaslin avec un sourire malicieux, qu’Eterleb est presque l’anagramme de liberté !
Pendant ses séjours à Genève, Axel Métaz passait de nombreuses soirées en compagnie de Chantenoz. Le professeur, taciturne et circonspect, ne pouvait se défendre de prendre la vie et les gens à rebrousse-poil, aussi n’avait-il pas d’amis. Les apparitions de son ancien élève étaient sa seule source de plaisir. Candide et subtil à la fois, maladroit par raideur, d’une sensibilité vulnérable, il heurtait fréquemment ses collègues par sa causticité et la distance qu’il maintenait entre eux et lui. « Je suis un isolé »,
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