Rive-Reine
entre 1817 et 1821, sur le jardin des Bastions, un impressionnant palais 3 . Depuis, M. de Sellon et M. Saladin-Cazenove, à Pregny, M. Maunoir-Schweppe 4 , au Petit-Saconnex, M. Boissier, aux Eaux-Vives, consacraient des fortunes à la construction de maisons dans le style italien ou anglais.
Tous ces signes tangibles de prospérité conduisaient Axel Métaz à voir les citoyens de Genève comme des gens libres et heureux, même si la restauration de la république, intervenue en 1813, apparaissait maintenant, aux yeux de certains, après le grand souffle de liberté apporté par la Révolution française, comme un retour à une société de privilèges, à la domination du peuple par une aristocratie des affaires et de l’argent, dont les membres se partageaient le pouvoir, les honneurs et, quand il y en avait, les sinécures ! Dans le quartier Saint-Gervais, où fermentaient les idées démocratiques autour des layettes 5 des cabinotiers, on regrettait que le cens électoral retardât encore le développement de la représentation populaire.
En attendant le suffrage universel, les Genevois mettaient, en apparence, autant de simplicité dans leurs mœurs que dans leurs vêtements. Les fêtes et réjouissances populaires, mondaines ou privées, ne se départaient jamais de cette dignité qui fait qu’un calviniste s’amuse en ayant l’air de s’ennuyer ! Les aînés reprochaient aux jeunes gens leur manque de fougue, aussi bien dans les études, le travail, qu’au bal. Les patriciens, jeunes et vieux, dansaient en effet avec la même application qu’ils mettaient à tenir leurs comptes. Dévoués à la chose publique et attentifs à la bonne marche des affaires de la cité, les gens de condition modeste se mêlaient volontiers des questions qu’ils auraient dû laisser trancher par un gouvernement qu’ils avaient, sinon tous élu, du moins accepté. Dans un pays où tout le monde connaissait tout le monde, il n’y avait guère de distance entre un horloger et un syndic, entre un portefaix et un membre du Grand Conseil. Et, d’ailleurs, les jardins et promenades n’étaient-ils pas placés, sans aucune discrimination, comme le proclamaient les panneaux municipaux, « sous la sauvegarde des citoyens » ?
Bien qu’on se moquât de l’aristocratie et de ceux qui s’en réclamaient, ou en singeaient les manières, les gens des rues basses admettaient que la ville haute restât le quartier dévolu aux fortunes anciennes, aux hommes de science, dont les noms étaient connus à Paris comme à Londres. Les banquiers et négociants de vieille souche pouvaient y acquérir des hôtels, mais n’étaient pas toujours admis à voisiner avec tel grand botaniste ou tel physicien, que visitaient les sommités européennes. Les commerçants ayant pignon sur rue, les membres de la petite bourgeoisie, les avocats, les professeurs se rencontraient plus souvent dans les rues basses, alors que, sur la rive droite du Rhône, Saint-Gervais, quartier des artisans et des cabinotiers, attirait les artistes, poètes ou écrivains, peintres ou musiciens, et les jeunes gens impécunieux, épris d’art et de littérature.
Devenu riche, ce qui arrivait peut-être plus souvent qu’ailleurs, le Genevois cherchait « à passer des rives humides du Rhône aux terrasses de la Treille ». On appelait ces ambitieux des « grimpions ». Les sages, les plus nombreux, continuaient à vivre simplement, ne changeant rien à leurs habitudes, restant fidèles à leurs fournisseurs. Il ne s’agissait ni de parcimonie exagérée, ni d’absence d’imagination ou d’avidité. Mais il ne convenait pas d’étaler fortune et réussite. « Petite politique, petite philosophie, petite religion, petite littérature. Il faut qu’il n’y ait rien de saillant, de bruyant, rien qui dépasse une certaine ligne de convention », avait dit, un jour, Rodolphe Töpffer.
Si goût de luxe il y avait, son expression restait intime, si dépense inutile on faisait, c’était hors de la République, à Lausanne, à Lyon, à Paris, en Italie. M. Laviron citait, sans le nommer, un des plus respectables clients de sa banque, négociant fortuné, qui ne portait à Genève qu’une redingote élimée, se coiffait d’un chapeau graisseux, conduisait lui-même un cabriolet grinçant, tiré par une jument édentée, mais disposait, hors les remparts, près de la frontière française, d’un bel équipage et d’une fort
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