Rive-Reine
bête. Ne plus vous voir, votre mère et vous, serait d’un pharisaïsme mondain stupide. Et puis j’en serais très malheureuse.
Axel sourit et posa sa main sur celle de Juliane.
Avant qu’il ne pût parler, la jeune fille reprit, comme pour justifier son propos :
» Il n’y a pas tellement de jeunes gens, dans nos relations, qui aient votre instruction, votre éducation et votre expérience du monde. Mon père, qui a pour vous de l’estime, m’a toujours encouragée à parler avec vous. Sous un air sévère, parfois un peu compassé, c’est un homme de cœur, qui vit sa religion avec charité et sans adhérer au conformisme étroit de certains. Aussi, je vous prie de ne rien changer à nos habitudes et je compte bien, quand vous viendrez à Genève, vous voir prêt à me conduire en promenade ou au concert. J’ai dix-neuf ans cette année », conclut-elle avec un sourire.
Bien que cela ne se fît pas, Axel s’inclina et effleura du bout des lèvres la main de Juliane, qui rosit de confusion. Comme Pierre-Antoine Laviron approchait, ayant vu sans déplaisir le geste d’Axel, la jeune fille lui sauta au cou et l’embrassa.
– Ouf, j’ai sauvé quelque chose qui me tient à cœur, papa ! Savez-vous que M. Métaz ne voulait plus venir rue des Granges, en imaginant que maman était scandalisée par ce qu’il nous a avoué, tout à l’heure, avec beaucoup de franchise.
– C’eût été une erreur, Axel, puisque, par le mariage de votre maman avec M. de Fontsalte, les choses rentrent dans l’ordre que la nature humaine a autrefois choisi. Nous comptons bien, M me Laviron et moi, que vos parents – on peut maintenant les appeler ainsi, n’est-ce pas ? – nous feront l’honneur d’une visite lors des prochaines semaines. Maintenant, Liane, laisse-nous un peu. Nous avons, M. Métaz et moi, à parler affaires, dit le banquier.
Sur le ton de la confidence mesurée, propre aux financiers, Pierre-Antoine Laviron voulait annoncer à ce garçon, qui était plus qu’un client ordinaire, la constitution d’une nouvelle société genevoise et vaudoise pour la construction d’un vapeur « propre à remorquer des barques chargées de marchandises 2 ».
– Un remorqueur, ça vous intéresse, j’imagine. En tant que banquier, je vous conseille de souscrire à la Compagnie du Léman remorqueur . Elle sera dirigée par un comité mixte genevois-vaudois. Mon estimable confrère le banquier Jean-François-Louis Pictet-Calandrini représentera le canton de Genève et M. André Doxat de Pourtalès celui de Lausanne. Et puis, autre projet, on murmure que des citoyens vaudois, estimant qu’il y va de l’honneur cantonal, voudraient lancer, l’an prochain, un grand bateau pour passagers. Renseignez-vous donc, à Lausanne, auprès de M. Panchaud ou de M. Verdeil. On dit qu’ils préparent une souscription. Mais on ne peut savoir si l’affaire aboutira, alors que celle du remorqueur est déjà bien en train.
Axel remercia le banquier, mais quand, de retour à Vevey, il s’entretint avec les patrons de ses barques qui transportaient les pierres de Meillerie à Genève, à Lausanne, à Morges et à Nyon, leur réponse de Vaudois économes releva de la simple sagesse paysanne.
– Pourquoi iriez-vous payer pour le remorquage de vos barques par un vapeur, alors que le vent ne coûte rien ! dirent-ils avec un bel ensemble.
Comme c’était aussi l’avis de Simon Blanchod, Axel Métaz fit savoir à Pierre-Antoine Laviron qu’il ne souscrirait pas pour la construction d’un remorqueur.
En revanche, il se déclara prêt à acheter, dès constitution de la société lausannoise, au moins une action du bateau projeté par un groupe de patriotes vaudois, rassemblés par le colonel Sigismond de La Harpe. Ce vapeur serait la copie d’un bateau anglais, le London Engineer . Long de trente-six mètres, il pourrait transporter cinq cents passagers, soit autant que le Guillaume-Tell et le Winkelried réunis. Ses machines, développant la force de soixante chevaux, en feraient le plus rapide du Léman, dont il porterait le nom pour bien montrer que l’appellation lac de Genève est un nom usurpé ! Des ouvriers anglais viendraient le construire à Ouchy, un chantier étant prévu derrière le château.
Dès leur retour, les époux Fontsalte choisirent d’habiter Beauregard. Charlotte décida de louer l’hôtel de la rue de Bourg, fit
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