Rive-Reine

à palper, monsieur. M’auriez-vous dit seulement que vous êtes amoureux de cette jolie dame que j’aurais considéré cela comme raison suffisante, dit Armand en riant.
     
    – Mais l’un n’empêche pas l’autre, persifla Martin, vexé d’être présenté comme tabellion.
     
    – J’accepte de vous conduire, car vous avez une bonne voiture. Mais il vous faut aussi embaucher mon beau-frère, un ancien garde-chasse du duc. Nous ne serons pas trop de deux pour vous tirer d’affaire si les choses ne vont pas comme elles devraient aller, dit l’homme, placide et résolu.
     
    Le nouveau cocher produisit une liste d’objets et de vêtements à se procurer, car les voyageurs auraient sans doute à affronter, en plus des dangers de la route, les premiers grands froids de l’hiver.
     
    Axel exhiba ses pistolets, que le grognard reconnut comme « bonnes pétoires françaises » et s’étonna que le notaire eût préféré une canne-épée.
     
    – Je compte m’en servir comme canne plutôt que comme épée, dit Chantenoz, qui avait horreur des armes.
     
    Après une nuit supplémentaire passée à l’hôtel de l’Éléphant, on se mit en route. Selon l’état des chemins, les aléas des relais et la fatigue des trois chevaux, attelés en flèche à la berline de Fontsalte, le cocher estima que le trajet prendrait de huit à douze jours. Avant de monter en voiture, Axel Métaz était allé négocier, chez un orfèvre, deux pierres du trésor autrefois offert par Blaise. En Vaudois digne de ce nom, il voulait avoir en poche de quoi faire face à l’imprévu !
     
    1 Au xix e  siècle : portier, réceptionniste.
     
    2 Heinrich Meyer (1759-1832), peintre suisse et historien des beaux-arts, professeur à Weimar. Il rencontra Goethe à Rome, en 1786, et le poète le fit appeler à Weimar en 1792. Il fut le porte-parole de Goethe quand celui-ci fonda la revue Kunst und Altertum (Art et Antiquité), pour diffuser ses idées.
     
    3 Thomas Mann a tiré de cette rencontre un beau roman, Lotte in Weimar (1939), publié en français sous le titre Lotte à Weimar , éditions Gallimard, Paris, 1945.
     
    4 Cité par Ferdinand Bac dans Vieille Allemagne , deuxième série, les Paysages de Goethe , Eugène Fasquelle, Paris, 1907.
     
    5 D’après le chancelier Friedrich von Müller, Goethe ne fut pas satisfait du portrait gravé par le médailleur suisse installé à Berlin. « J’ai l’air d’un taureau », dit-il. Une autre médaille fut commandée à Brandt en 1826. Entretiens de Goethe avec le chancelier F. de Müller , traduction, avertissement, notes bibliographiques et éclaircissements par Albert Béguin, Librairie Stock, Paris, 1930.
     
    6 1809-1871. Ce garçon de ferme du pays d’En-Haut, devenu charbonnier, qui avait toujours vécu dans les forêts, descendait, l’hiver, dans un village. Utilisant les déchets de papier qui lui tombaient sous la main, il faisait, avec des ciseaux, des découpages qu’il offrait à ses hôtes. Son habileté étonnait et sa réputation d’artiste-paysan lui permit d’être souvent hébergé et nourri. Il a interprété, parfois de façon déroutante, les troupeaux en transhumance, la fabrication du fromage, des scènes de chasse. On peut, aujourd’hui, voir ses œuvres au Musée gruérien, place du Cabalet, à Bulle. Hauswirth a eu en Louis Saugy (1871-1953) un talentueux successeur, dont les découpages, très élaborés, sont recherchés par les collectionneurs.
     
    7 Rapporté par Goethe dans Voyage en Suisse et en Italie , traduction de Jacques Porchat, Librairie Hachette, Paris, 1862.
     

5.
     
    Les deux postillons engagés à Weimar avaient parcouru, au cours des guerres napoléoniennes, tous les pays qui vont du Rhin au Danube et des Carpates aux Alpes. En acceptant, pour une forte rétribution, l’aventureux voyage proposé par Axel Métaz, Armand et son beau-frère, Franz, s’offraient l’occasion d’emprunter la route des souvenirs. Martin Chantenoz et son ancien élève, en revanche, allaient, à chaque tour de roue, découvrir de nouveaux paysages.
     
    Forêts épaisses, plaines médiocrement cultivées, vallées embrumées, plateaux désertiques battus par les vents, collines moutonnantes, montagnes couvertes de futaies se succédaient de l’aube au crépuscule, si bien que les voyageurs avaient parfois le sentiment de reconnaître une contrée traversée une heure ou deux jours plus tôt. Axel, responsable de cette équipée, se