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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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familier, la jouissance neuve de celui qui, ayant accompli son voyage initiatique, se confine en son domaine. Il aimait à naviguer, tôt le matin, sur le lac, avec Pierre Valeyres. Le vieux bacouni ramenait dans son filet des perchettes argentées que Pernette jetait dans la friture. En compagnie de Louis Vuippens, Axel chassait le chamois et le bouquetin en Valais et dansait quelquefois, le dimanche, dans les villages alentour, où les jeunes organisaient des bals. Le docteur Vuippens, connu de toutes les familles pour sa compétence et sa générosité – il soignait gratuitement les pauvres – introduisait Axel. Un tel patronage était indispensable, car les jeunes paysans n’appréciaient guère que des citadins vinssent enlacer leurs cavalières et, peut-être, leur conter fleurette. Les belles et robustes filles, qui riaient pour une paille en croix, rougissaient et se disaient flattées de faire un tour de valse avec le docteur ou le fils Métaz, beau gars instruit qui avait voyagé. Axel récitait souvent des vers entendus au Caveau littéraire de Genève pour célébrer les joies du bal champêtre :
     
    Une musique enchanteresse
    Donne le signal du plaisir ;
    Tout s’anime et paraît sentir
    Le feu d’une commune ivresse.
    Plus d’une beauté sait unir
    Dans ses pas la délicatesse,
    La légèreté, la souplesse,
    Et dans les bras cette mollesse,
    Ce geste fait pour la tendresse,
    Qui semble appeler le désir 1 .
     
    Les galants attitrés des demoiselles ne comprenaient pas toujours qu’il s’agissait d’une forme de déclaration et applaudissaient tandis que le médecin, grand trousseur de jupons, s’éclipsait avec la moins farouche des danseuses. Certaines délurées, mettant à profit la présence du praticien, trouvaient, pour s’isoler avec lui, le prétexte commode de l’examen, dans la grange voisine, d’un genou ou d’un dos douloureux. « Plutôt que descendre à La Tour-de-Peilz pour aller à la consulte du docteur… et payer », expliquaient-elles au soupirant, enchanté d’avoir une bonne amie pratique et déjà économe !
     
    M. Métaz – c’est ainsi qu’on l’appelait, maintenant qu’il avait passé vingt-cinq ans – recherchait d’ordinaire des plaisirs plus relevés. Depuis que sa mère avait convolé avec Fontsalte et que Martin Chantenoz enseignait l’esthétique à l’Académie de Lausanne, Axel se rendait souvent en ville, pour écouter concerts ou conférences, voir une pièce de théâtre.
     
    L’Académie, très ancienne institution, dont la réputation dépassait largement les frontières du canton, avait été créée en 1537 par Leurs Excellences de Berne. Elle était alors destinée, par le Grand Conseil et par les pasteurs, à « préparer pour la République les hommes chargés de la gouverner un jour ». Elle comportait maintenant un gymnase, trois chaires de droit, deux de belles-lettres, d’autres de sciences, de théologie, et une école de pharmacie. On annonçait périodiquement, depuis plusieurs années, la création de chaires de médecine, mais celles-ci se faisaient attendre. La qualité de l’enseignement ordinaire, dispensé par des maîtres éminents – tels Charles Monnard, professeur de littérature française, le philosophe André Gindroz, le théologien Jean-Guillaume Leresche, le mathématicien Emmanuel Develey – comme les cours extraordinaires de zoologie et de botanique de Daniel-Alexandre Chavannes, ou ceux d’économie politique du publiciste français Charles Comte, attirait de plus en plus d’étudiants et d’auditeurs. Bien que l’Académie fût encore un corps ecclésiastique surtout attaché à former des théologiens, c’est là que fermentaient les idées nouvelles.
     
    Sous l’influence de certains maîtres, que les mauvais résultats des collèges inquiétaient, le Grand Conseil avait nommé, en novembre 1825, une commission, présidée par le conseiller d’État Louis Secrétan, chargée d’élaborer un plan général d’instruction publique. Cette assemblée devait remettre son rapport au commencement de l’année 1827.
     
    En attendant, certains professeurs, comme Monnard et, à Bâle, Alexandre Vinet, avaient l’audace de se mêler de politique, ce qui ne plaisait pas à tout le monde. Le premier assumait les fonctions de rédacteur en chef du nouveau quotidien Nouvelliste vaudois , lancé en 1824. Le journal, fidèle aux objectifs annoncés dès son premier numéro, « combattre et

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