Rive-Reine
renverser l’ordre des choses qui avait été imposé au canton de Vaud en 1815 », prospérait. Organe d’opposition des libéraux, il se voulait contrepoids politique à la Gazette de Lausanne , organe du gouvernement et des conservateurs. Le Nouvelliste avait déjà demandé et obtenu la publicité des débats législatifs, « première expression du droit du public aux informations », et depuis la promulgation de la « loi infâme du 20 mai 1824 », interdisant les assemblées « sectaires » du Réveil, ses rédacteurs luttaient ouvertement pour la liberté religieuse.
Le professeur Alexandre Vinet, auteur d’un Mémoire en faveur de la liberté des cultes , qui concluait à la nécessaire séparation de l’Église et de l’État, s’était montré catégorique en critiquant la loi de 1824. « Une loi immorale, une loi qui m’oblige de faire ce que ma conscience et la loi de Dieu condamnent, si l’on ne peut pas la faire révoquer, il faut la braver. Ce principe, loin d’être subversif, est le principe de vie des sociétés. C’est la lutte du bien contre le mal […]. C’est de révolte en révolte, si l’on veut employer ce mot, que les sociétés se perfectionnent, que la civilisation s’établit, que la justice règne, que la vérité fleurit », avait-il écrit.
Les polémiques autour de la loi du 20 mai en annonçaient d’autres. Les élections de 1824 avaient envoyé au Grand Conseil ce que les Vaudois nommaient une majorité compacte. Le scrutin avait été, disaient certains, fabriqué par les chefs de la majorité conservatrice qui s’étaient concédé réciproquement des sièges afin de conserver le pouvoir législatif au Grand Conseil, exécutif au Conseil d’État. La confection des listes, confiée à des hommes sûrs qui répandaient mots d’ordre et promesses dans les campagnes, avait permis à l’oligarchie rurale, qui remplaçait l’ancienne aristocratie terrienne, d’envoyer au Grand Conseil cinquante et un fonctionnaires, cinquante-trois juges de paix ou assesseurs de cercle et seize employés municipaux. Les défenseurs des idées libérales ne mettaient pas en cause le patriotisme, la probité et le sens de l’économie des élus, mais ils leur reprochaient leur étroitesse d’esprit, leur népotisme, leur propension à cumuler des fonctions influentes et aussi une trop grande soumission à la Diète fédérale, soucieuse de ne pas déplaire aux membres de la Sainte-Alliance. Les restrictions apportées à la liberté de la presse, à la demande des monarques étrangers, et les mesures prises contre les proscrits italiens irritaient les intellectuels. Les francs-maçons, les sympathisants des carbonari, les membres de la Société helvétique, de la Société d’utilité générale, les étudiants, regroupés dans la Société de Zofingue depuis 1819, diffusaient des idées libérales, parfois radicales, et réclamaient une révision de la Constitution, afin que fussent réformées des institutions surannées, qui entravaient le développement de l’esprit national et le rapprochement des classes.
Axel Métaz et Martin Chantenoz, résolument libéraux, considéraient eux aussi que le système du vote censitaire, rétabli par la Constitution de 1814, était la première chose à abolir afin que le suffrage universel pût jouer librement. La loi électorale en vigueur favorisait ce que Samuel Clavel et Frédéric César de La Harpe, les ténors libéraux du Grand Conseil, nommaient avec raison : la paysannocratie.
Samuel Clavel, qui avait eu l’honneur de dîner, en mai 1800, chez M. Haller, à Villamont près Lausanne, avec le Premier consul, Napoléon Bonaparte, et son état-major, deux jours avant le passage du Grand-Saint-Bernard par l’armée d’Italie, était fidèle aux idées libérales de sa jeunesse 2 . Il en était de même de La Harpe, qui avait été un ardent révolutionnaire avant de devenir précepteur, puis secrétaire et intime conseiller, du tsar Alexandre I er . Lors du congrès de Vienne, en 1815, La Harpe, usant de la confiance que lui témoignait le petit-fils de la Grande Catherine, avait obtenu que la Russie, en dépit des zélateurs de l’ancien régime bernois, garantît l’indépendance cantonale du pays de Vaud. Maintenant, face au gouvernement conservateur du landammann Jules Muret, c’est lui qui traduisait le mieux la rancœur des aristocrates de la rue de Bourg, des intellectuels, mais aussi
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