Rive-Reine
Fusterie, sa confusion augmenta à la vue d’une de ses barques, en cours de débatelage. Il entraîna néanmoins sa compagne sur la rive, jusqu’à l’endroit où les bateliers empilaient les pierres apportées des carrières de Meillerie.
Quand il résidait à Genève, Axel allait souvent assister à l’arrivée et au déchargement de ses barques. Ce jour-là, il fut rapidement reconnu par les bacounis et l’un d’eux vint au-devant du couple, ôta son bonnet et lança assez fort pour être entendu de ses camarades :
– La barque est belle, patron !
Cela signifiait qu’elle venait d’être proprement vidée de sa charge de plusieurs tonnes de pierres taillées. Comme il avait souvent vu son père le faire, Axel héla un gamin et l’envoya chercher un pichet de vin frais pour célébrer, suivant la tradition, avec l’équipage, un débatelage sans aléas. Il dut, comme autrefois Guillaume Métaz, trinquer avec ses hommes et Juliane fut invitée à en faire autant par le maître d’équipage. Elle sourit en voyant le batelier rincer avec soin un verre à la fontaine avant de le lui tendre, empli de vin blanc.
– Messieurs, dit-elle, je bois à votre dur métier et à la beauté de votre vaisseau aux ailes blanches !
Les bacounis apprécièrent ces mots, prononcés d’une voix mélodieuse.
– Après un tel toast, je vous demanderai d’être la marraine de la prochaine barque qui sortira de mon chantier, annonça Axel.
Les bacounis attendirent que le couple se fût un peu éloigné pour s’asperger visage et épaules à la fontaine avant de rembarquer pour Meillerie.
– Le vent d’ouest qui se lève les poussera en moins de quatre heures jusqu’aux carrières, dit Axel en emmenant Juliane.
– Pour une gâtionne, elle est pas gribiche 5 , la demoiselle, constata le maître d’équipage en coiffant son bonnet.
– C’est une d’ici, une de la ville haute, sûr. S’il veut seulement prendre femme, l’Axel, il aurait meilleur temps de trouver une fille de chez nous.
– J’en connais plus d’une qui se ferait pas prier pour devenir M me Métaz, répliqua son compagnon.
En arrivant rue des Granges, le lendemain matin, Axel apprit que M me Laviron n’accompagnerait pas sa fille à l’inauguration du musée. Indisposée par la chaleur, elle confiait Juliane à M. Métaz, ami sûr et dévoué.
Axel et Juliane convinrent, en descendant de leur calèche, place Neuve, que le musée Rath offrait aux regards, avec son portique hexastyle sous fronton triangulaire, l’aspect majestueux d’un temple grec. Libre réplique architecturale du théâtre bâti en 1783 au bas de la Treille, le nouveau bâtiment constituait, avec la porte Neuve, la troisième pointe d’un triangle dont une légère irrégularité faisait toute l’harmonie. Une plus rigoureuse symétrie eût conféré, à la place, une rigidité géométrique dont se seraient mal accommodées la rampe de la Treille, l’amorce ombragée de la Corraterie, l’entrée de la promenade des Bastions et, moins encore, la haute muraille qui soutient les façades des hôtels patriciens. Des grilles, tels des bras ouverts en courbe élégante, ceinturaient à demi la place Neuve et reliaient le musée et le théâtre à la porte monumentale.
M lle Laviron fut un peu déçue en constatant que peu de Genevois s’étaient dérangés pour inaugurer le bâtiment dont la ville pouvait justement tirer orgueil. Quand le professeur Augustin Pyramus de Candolle, président de la Société des Arts, eut prononcé une brève allocution de circonstance, les invités se répandirent à travers les salles du musée pour voir les tableaux prêtés par les artistes et par les collectionneurs. Axel apprécia Deux Jeunes Filles , d’Arlaud, les Vieux Mariés , de Hornung, le Château de Blonay , peint par le Veveysan Christian-Gottlieb, dit Théophile, Steinlen, et surtout une toile de circonstance, due à Chaix. Le peintre avait représenté une femme de l’île d’Ispara, réduite en esclavage par les Turcs. Superbe et furieuse, la patriote appelait la vengeance céleste sur les ennemis de la Grèce martyrisée. Une jeune fille, frais symbole de l’espérance, tentait de consoler la captive.
Juliane préféra les hêtres et les chênes du bois de Vernant, près de Lausanne, dus au pinceau de François Diday. L’auteur du catalogue écrivait que ce jeune peintre, « fort
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