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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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aujourd’hui, le frais l’aurait réveillé. Croyez pas qui peut lui être arrivé quelque mal ? Il a septante-sept ans, Blanchod. C’est pas un âge à s’échiner dans les vignes ! que je lui dis souvent.
     
    Cette inquiétude, Axel la partagea aussitôt. Il courut chez Régis Valeyres, qui logeait près des écuries, et, chemin faisant, aperçut Pastille, la mule préférée de Simon. Cette rencontre augmenta ses craintes. La mule, revenue seule de Belle-Ombre, se désaltérait à l’abreuvoir de pierre. Le temps d’atteler le cabriolet, d’interrompre le repas de célibataire de Régis Valeyres, et les deux hommes traversaient, au grand trot, la place du Marché pour prendre, par-delà le pont de la Veveyse, le rude chemin de Belle-Ombre. La nuit enduisait déjà les pentes du mont Pèlerin, mais une pleine lune chaleureuse éclairait le vignoble, quand Axel et l’intendant atteignirent la maison, sans avoir rencontré le vieux vigneron. La charmille déserte, la maison ouverte et vide leur donnèrent à penser que Blanchod n’avait pas quitté la vigne. Ensemble, Axel et Régis crièrent aux quatre points cardinaux le nom de Simon, puis attendirent en silence une réponse, qui ne vint pas. Ils décidèrent alors de parcourir toutes les lignes en montant jusqu’à la troite 9 du haut, puis en redescendant jusqu’au grand chemin des berges, afin de s’assurer que le père Blanchod n’était pas tombé entre deux rangs de ceps.
     
    Haletant en sautant d’un parchet à l’autre, Axel se morigénait. Il aurait dû être plus ferme avec parrain Simon. Interdire à ce vieillard asthmatique de s’obstiner aux travaux des vignes, comme il le faisait depuis plus d’un demi-siècle pour les Métaz. Mais Simon Blanchod, quoiqu’il peinât à gravir les pentes appuyé sur sa canne, entendait surveiller la taille et les labours, vérifier l’alignement des échalas, le travail des effeuilleuses et, en cette saison, où il n’y avait plus qu’à attendre l’heure de la vendange, monter à Belle-Ombre, à Vignereine et aux Paluds, deux fois la semaine, pour tâter le grain, voir si la peau se fendrait aisément, justifierait ainsi ce nom de fendant, que les Valaisans utilisaient toujours et que les étrangers prenaient pour celui d’un cru !
     
    Il fut donné au filleul de retrouver le parrain. Allongé sur le dos entre les ceps, son vieux chapeau de paille sur le visage, les mains croisées sur l’estomac, le vigneron, tel un gisant, semblait dormir au clair de lune. Avant même d’avoir soulevé le chapeau, Axel sut que Blanchod était mort. La clarté lunaire alluma, dans l’ombre, les yeux bleus du vigneron, qui fixaient les étoiles si souvent nommées pour le filleul questionneur. Axel reçut comme un adieu confiant ce regard doux et paisible qui perçait, peut-être, le mystère de l’au-delà. Un peu de bave suintait de la commissure des lèvres. Axel tira son mouchoir, s’agenouilla près du corps inerte, essuya avec tendresse le menton du mort et ferma, d’une main tremblante, les paupières de l’homme qui lui avait enseigné la fécondité de la terre vaudoise. Puis il se releva et héla Régis.
     
    – Il avait dit, il y a quelques jours, à mon grand-père : « Je prépare ma dernière vendange, après je me reposerai. » Il avait vu juste. Maintenant il est entré en repos, dit Régis Valeyres, ému.
     
    Les deux hommes portèrent le vigneron jusqu’à la charmille, où Axel voulut qu’on l’allongeât sur la table où, tant de fois, Simon avait partagé le fromage et le pain des dix heures avec son père et lui.
     
    – Va à La Tour et ramène le docteur Vuippens. En passant à Rive-Reine, demande à Pernette un drap qui servira de linceul. Qu’elle prévienne Fine de la mort de son maître. Et puis dis à ton grand-père d’atteler la berline et de monter ici. Je veux que Simon soit reconduit chez lui en bel équipage.
     
    Quand Régis eut disparu avec le cabriolet, Axel s’assit sur le banc, près du mort. Blanchod, pris d’un malaise soudain, s’était allongé à même la terre, entre les pieds de vigne. Souvent, quand il souffrait d’étouffement, dû à l’asthme ou à l’emphysème, il disait, confiant dans les forces de la vie qui l’avaient porté jusqu’au grand âge : « C’est venu, ça passera. » Avait-il choisi la vigne de Belle-Ombre, qu’il préférait à toutes celles des Métaz, pour chambre mortuaire ? Axel se plut à

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