Rive-Reine
de Charles X de « laisser périr la Grèce à notre porte ». L’épouse du général-marquis de Fontsalte se devait, étant donné sa position sociale et le passé de son mari, de soutenir le comité philhellène de Lausanne. Celui-ci, animé par un homme de bien, M. Jacques François Théodore Rivier, assesseur, conseiller communal et grand conseiller, courageux défenseur, malgré la loi de mai 1824, des persécutés du Réveil, était des plus actif. Les fervents zélateurs de l’indépendance de la Grèce, dont le docteur Verdeil et Francis Recordon, se réunissaient souvent au Désert, la belle propriété que Théodore Rivier possédait hors la ville. Ils venaient d’ouvrir une souscription hebdomadaire en faveur des prisonniers grecs, demandant à leurs concitoyens de verser « un batz au plus ou un demi-batz, chaque semaine, pendant six mois ».
Mais une affaire française éclipsa, pour un temps, dans les conversations de Beauregard, le drame grec.
Lors d’une visite à Lausanne, au commencement du mois de mai 1827, Axel trouva Blaise de Fontsalte très courroucé. Quelques jours plus tôt, Husayn ibn al-Husayn 11 , le dey 12 d’Alger, s’était permis de frapper, d’un coup de chasse-mouches au visage, le représentant de la France, M. Pierre Duval. Charles X et son gouvernement n’avaient pas encore répliqué ni demandé réparation, d’où l’indignation du général. Devant le sourire amusé d’Axel, qui trouvait l’incident comique, Blaise, un peu agacé, évoqua les circonstances d’un affront patriotique qu’il ressentait, non comme une offense à la dignité d’un monarque qu’il ne tenait pas en grande estime, mais telle « une atteinte à l’honneur de la France éternelle » !
– Il se trouve que, sous le Directoire, deux Juifs algérois, Busnach et Jacob Bacri, qui détenaient le monopole du commerce des blés algériens, servirent d’intermédiaires pour fournir de grosses quantités de grain à la France, menacée de famine. On a su, depuis, que Talleyrand, qui jouissait alors de la confiance de Bonaparte, avait été l’introducteur de ces douteux personnages dans une affaire qui pouvait être traitée directement avec le dey d’Alger. Comme vous le savez, le prince de Bénévent n’agit jamais bénévolement… Il est certain que l’entremetteur fut largement rétribué. Or les Busnach et Bacri se trouvaient encore, en 1797, débiteurs du souverain algérien parce que, disaient-ils, créanciers de la France.
– Vous tardiez à payer vos fournitures, observa Axel.
– Il y avait des raisons à cela. D’abord, le montant des factures présentées était exagéré, ensuite, nous avions appris, aux Affaires secrètes, que les flibustiers qui s’emparaient fréquemment des cargaisons de blé chargées en Algérie pour la France opéraient en accord avec Jacob Bacri. Celui-ci récupérait le grain volé et nous le vendait une seconde fois ! L’affaire de la dette traîna jusqu’à la signature, en 1819, d’une convention, qui fixa à sept millions la créance française. Talleyrand avait tout intérêt à ce que le contrat fût respecté. Il s’entremit donc, une nouvelle fois, pour faire verser à Busnach et Bacri plusieurs acomptes importants. Napoléon, qui voulait maintenir de bonnes relations avec l’Algérie, espérait que les commissionnaires pourraient ainsi payer au dey Husayn ce qu’ils devaient. Or il semble qu’à ce jour le dey n’ait pas touché un centime. L’or envoyé par la France s’est volatilisé, comme autrefois le blé, en traversant la Méditerranée ! Au lieu de demander des comptes à Besnach et Bacri, Husayn ibn al-Husayn s’en est pris au gouvernement français. Il a écrit au ministre des Affaires étrangères, lequel, n’étant certainement pas au fait de toutes les finasseries et filouteries de Talleyrand, a ordonné au consul de France à Alger d’aller expliquer la situation au dey. L’entrevue a eu lieu le 29 avril et Husayn s’est montré ulcéré par le manque de considération dont fait preuve à son égard le gouvernement français en ne lui répondant pas directement et en déléguant un simple consul pour s’entretenir avec un pacha de son importance. Je tiens par Ribeyre, toujours bien informé, que le diplomate ne se laissa pas impressionner et répondit, paraît-il : « Mon gouvernement ne t’écrira pas, c’est inutile d’insister. » C’est alors que le dey,
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