Rive-Reine
leurs agents et interroger deux espions. Le premier, un Anglais, avait été démasqué par une cantinière, alors qu’il soudoyait un marin pour connaître l’ordre de départ des unités ; le second, un Turc, avait été arrêté au moment où il tentait de prendre copie des dépêches envoyées par l’amiral Duperré, commandant de la flotte, au capitaine de vaisseau Hugo, désigné pour commander le débarquement, maintenant prévu à Sidi-Ferruch, à vingt kilomètres d’Alger.
Quand l’embarquement des troupes fut achevé, le 18 mai, et bien que la plus grande flotte de débarquement jamais rassemblée par la France ne dût appareiller que le 25 mai, les deux généraux, considérant leur mission terminée, regagnèrent Paris. Ils y retrouvèrent Axel.
Plus que les espions, le comportement de la presse inquiétait les deux généraux. Depuis leur retour dans la capitale, ils se disaient affligés par le manque de civisme des polygraphes de l’opposition, qui dénigraient, chaque jour, l’expédition, après s’être efforcés, pendant des semaines, de démoraliser les troupes en donnant mauvaise conscience aux soldats. M. Alexandre de Laborde, député et membre de l’Institut, qui avait servi contre la France dans l’armée autrichienne jusqu’en 1797, était devenu, par un revirement trivial, destiné à faire oublier son passé d’émigré, un des plus virulents adversaires du gouvernement. Renversant malhonnêtement les rôles, il osait écrire dans un pamphlet : « Cette guerre est-elle juste ? Non, vraiment je ne crains point de dire non. […]. Le Dey réclame, on le vole, il se plaint, on l’insulte, il se fâche, on le tue 8 ! » Pour sa part, un parangon de vertu du Journal des Débats assurait : « La seule ressource de l’Algérie est l’opium », tandis que l’on chansonnait, avec plus de raison, Bourmont dans les cafés et peut-être dans les casernes :
Alger est loin de Waterloo
On ne déserte pas sur l’eau,
De notre général Bourmont
Ne craignons point la désertion !
– En d’autres temps, ces plumitifs eussent été contraints de manger leur gazette, et je vois bien où l’on eût mis leur plume ! lança Ribeyre, alors que les trois hommes soupaient au café Tortoni.
– On devrait les poursuivre pour trahison, car ils servent Anglais, Autrichiens et Turcs, qui tentent encore de s’opposer aux desseins du gouvernement français dans cette affaire, qui est, ne l’oublions pas, une affaire d’honneur national, renchérit Fontsalte.
– On peut ne pas être d’accord avec les décisions de Charles X, on peut mépriser Bourmont, même détester cette monarchie surannée et tous ses prébendiers, mais, quand la France s’engage dans une guerre où l’honneur de ses armes est en jeu et la vie de milliers de ses fils en danger, toutes les critiques doivent se taire, au moins pendant l’action, dit encore Ribeyre.
– Hélas, nous savons bien que la France n’a jamais eu de pires détracteurs que les Français ! Nos ennemis de toujours, les Anglais, savent que, pour nous affaiblir, il suffit d’encourager notre propension à nous diviser sur tous les sujets, les plus futiles comme les plus graves. Ils encouragent ceux qui peuvent entretenir dans l’esprit public, qu’on nomme maintenant l’opinion, les rancunes, les rancœurs, parfois même les haines nées de nos anciennes divisions. Pour des agents habiles, disposant de quoi acheter quelques plumes serviles, rien n’est plus aisé que dresser les Français les uns contre les autres. Empêcher que les vieilles blessures ne se ferment, les envenimer, les irriter, quoi de plus facile ! Par exemple, inciter les polygraphes à rappeler que celui-ci émigra pour servir dans l’armée des Princes, que tel autre, resté bonapartiste, a approuvé l’exécution du duc d’Enghien, que tel autre encore a été jacobin, ou carbonaro, ou geôlier du pape, en Avignon ! Voilà la principale cause des malheurs de ce pays. La plupart relèvent de la vanité des uns, de la cupidité des autres, de l’égoïsme de beaucoup et, j’ose le dire, de la bêtise du plus grand nombre, conclut avec colère Fontsalte, exaspéré d’avoir à prendre, dans la circonstance, la défense d’un régime qu’il méprisait.
Cela ne supposait pas, de la part de Blaise, l’adhésion au système. Axel en eut la confirmation, quelques jours plus tard, par l’aide de camp venu deux
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