Rive-Reine
à café », Axel s’appliqua à ne plus tomber dans ce travers !
Souhaitant rapporter un cadeau à sa mère, Axel, sur les conseils de Ribeyre, s’en fut, quelques jours avant la date prévue pour le départ, chercher l’inspiration rue de la Paix, ancienne rue Napoléon, « la plus ruineuse artère du monde », d’après les amateurs de bijoux, de perles, de soierie et d’objets d’art. C’est alors qu’il arpentait, sous le soleil de fin de matinée, cette voie aux belles boutiques, devant lesquelles station naient des calèches laquées comme des bonbonnières aux portières frappées d’armoiries et de couronnes, qu’Axel se heurta à Adrienne. Le premier moment de stupéfaction passé, elle lui tendit les mains en s’écriant :
– Mon Axilou, à Paris ! Quelle aubaine !
Accompagnée d’un obèse à fortes moustaches cirées et coiffé d’un impressionnant turban de soie bariolée, Adry s’apprêtait à monter dans un landau crème, tiré par deux chevaux blancs. Le couple sortait de la boutique du plus fameux joaillier de la rue de la Paix, Mellerio dits Meller, fournisseur, sous tous les régimes, de toutes les cours, depuis le jour de 1613 où la reine Marie de Médicis avait accordé le privilège à Jean-Marie Mellerio, émigré lombard, de faire avec les siens « le trafic de menues marchandises qu’ils sont accoutumés porter dans ses boîtes à l’entour du cristal dit enluminet 9 ».
Renonçant à monter dans sa voiture, Adry présenta Axel à son chevalier servant dans une langue incompréhensible. Métaz devina toutefois qu’elle le donnait comme son frère, quand elle désigna successivement ses yeux et ceux d’Axel à l’étranger. Le mamamouchi moliéresque, qui avait jusque-là conservé narines pincées et regard sévère, se détendit et s’inclina, la main sur le cœur.
– Il dit que tu es aussi beau en mâle que ta sœur en femelle ! traduisit malicieusement Adrienne.
Axel ne l’avait jamais vue aussi séduisante. Elle portait une jupe vert céladon sous une jaquette de velours d’un vert plus soutenu, un chapeau de paille embrumé de tulle, posé sur un chignon savant. La finesse de sa taille, son port altier et la grâce de sa démarche attiraient les regards.
– C’est une sorte de sultan diplomate, observateur de la Sublime-Porte, dit-elle négligemment, avant d’inviter le Turc à s’installer dans la calèche pour l’attendre.
– Viens, j’ai besoin de chaussures, entre avec moi chez les demoiselles Melnotte, ordonna-t-elle en désignant le magasin contigu à la joaillerie des Mellerio.
Tandis que les vendeuses s’affairaient, Axel mit en garde Adrienne :
– Tu ferais bien de ne pas te faire remarquer. Je sais par notre commun géniteur que la police autrichienne a saisi la correspondance échangée entre les carbonari de Florence et ceux de Naples. Les gens qui fréquentent le cabinet Vieusseux sont surveillés depuis que Mazzini et ses amis libéraux ont créé, à Florence, le mouvement Giovane Italia. Ne crains-tu pas que le nom de la baronne von Fernberg ne figure quelque part ?
– Je sais tout ça, Axou. Mais, à Paris, je suis à l’abri. Qui oserait soupçonner la maîtresse anglaise du représentant de la Sublime-Porte !
– Anglaise ?
– Oui. Pour tout le monde, sauf pour toi, je m’appelle maintenant miss Amy Bolton, femme de lettres !
– Quelle folle tu fais ! Mais ton Turc est un peu voyant, non ?
– Il est gras, il est ennuyeux, il est jaloux, il ne mange que des mets pimentés à l’extrême, il souffle comme un cachalot dès qu’il doit marcher plus de vingt pas, mais il est assez riche pour acheter tout ce que contiennent les boutiques de la rue de la Paix. Tiens ! Regarde ce qu’il vient de m’offrir : un collier de saphirs. C’est la mode ! On ne veut plus d’émeraudes ni de rubis, qui rappellent l’Empire ! dit-elle en ouvrant sa jaquette pour montrer le somptueux bijou qui parait son décolleté.
Adrienne, comme toutes les Tsiganes, affichait une passion pour l’or, les perles et les pierres précieuses. Elle portait des bijoux sans souci du lieu ni de l’heure et savait en parler. Tandis qu’Axel eût voulu poser une foule de questions à sa demi-sœur, celle-ci expliqua que, depuis l’assassinat du duc de Berry, il était de bon ton de porter du jais, pierre de deuil, que les grenats étaient réservés
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