Rive-Reine
de Beauregard, le colonel salua les deux généraux avant de monter dans la berline qui devait le reconduire à Paris.
Les vignerons vaudois, qui interprètent les signes de la nature, annoncèrent, dès février, que les rigueurs exceptionnelles de l’hiver retarderaient, jusqu’à la fin du mois de mars, la taille de la vigne. Aussi, quand Blaise de Fontsalte et Claude Ribeyre de Béran proposèrent à Axel Métaz de les accompagner à Paris, le jeune homme accepta. Ses affaires étaient en ordre, les commandes de pierres de Meillerie en cours d’exécution et les dates des livraisons à Genève, prévues et organisées. Un séjour à Paris, en compagnie d’un vrai Parisien comme Ribeyre, serait une source de découvertes intéressantes et aussi, peut-être, l’occasion de trouver de nouveaux débouchés pour les produits qu’il négociait et transportait.
Depuis la fin tragique des Ruty, alors que Nadette paraissait maintenant installée dans sa douce folie et qu’Alexandra retrouvait une joie de vivre enfantine, Axel ne s’était pas accordé un jour de repos. Le travail, en mobilisant son esprit et son énergie, avait agi comme un remède à la tristesse. Juliane Laviron, compatissante et discrète, lui avait apporté le soutien de son affection, mais un dépaysement de quelques jours le conduirait à reprendre conscience de ce que Chantenoz nommait le monde extérieur. Et puis, en suivant Blaise à Paris, il satisfaisait sa mère, qui ne désirait rien plus que voir s’établir entre Axel et son père des liens authentiques.
Le voyage dans la grande berline, conduite par Titus, fut plus gai que rapide. Hors de toute contrainte, les deux généraux et Axel se donnèrent, dès la première étape à Morez, l’allure de trois gaillards en goguette. Le lendemain, Jean Trévotte les convainquit de faire la prochaine couchée dans son village de Meursault, où ses cousins et cousines exploitaient les vignes familiales. Les voyageurs reçurent de la part de ces Bourguignons, pour qui l’adjudant Trévotte, unijambiste décoré, faisait figure de glorieux aventurier, un accueil empressé. Pris au dépourvu par l’apparition assez désinvolte d’un parent, qui, sans s’être annoncé, arrivait flanqué de trois invités, ces gens ne marquèrent ni surprise ni réticence. Ils ouvrirent leurs bras, leur maison et leur cave. D’une familiarité chaleureuse, s’exprimant avec tact et déférence envers les généraux et, pour Axel, avec la joviale complicité qui préside aux rapports entre vignerons, les femmes improvisèrent un vrai festin campagnard, tandis que les hommes tiraient de leurs prestigieux celliers les meilleures bouteilles. Par courtoisie, personne n’eut le front de risquer une comparaison entre les blancs vaudois et ceux de Meursault.
– Chaque terre fait sa vigne, chaque vigne fait son vin, chaque vin fait son buveur, se contenta de dire le cousin de Trévotte.
– Savez-vous que, si Charles le Téméraire avait battu les Suisses à Morat, nos vins seraient des bourgognes 6 , messieurs ? dit Axel doctement.
Toute la tablée applaudit, on porta un toast aux vignerons vaudois et quelqu’un entonna une chanson à boire, que tout le monde reprit en chœur au refrain.
On avait oublié les rigueurs de l’hiver quand vint le moment d’aller dormir. Axel, légèrement gris, s’efforça au sérieux pour, en guise de bonne nuit, citer un distique peu connu de Luther : « Qui n’aime point le vin, les femmes ni le chant, il restera un sot toute sa vie durant. »
Les Bourguignons décrétèrent que le jeune Vaudois, même protestant, était des leurs et reconduisirent leurs invités jusqu’à leurs chambres en chantant. Le lendemain, en montant en voiture, après une substantielle collation de jambon persillé et de fromage, arrosée, ce qui était paraît-il hygiénique, du même vin que le dernier bu la veille, les voyageurs constatèrent qu’on avait placé dans la berline une douzaine de bouteilles de ce blanc de Meursault qui porte à l’amour.
– Pour la route, dit simplement le doyen de leurs hôtes en les saluant.
Fontsalte, Ribeyre et Métaz trouvèrent Paris en pleine effervescence. Non à cause de l’expédition annoncée contre le dey d’Alger, qui suscitait de violentes récriminations dans les journaux d’opposition, mais parce que, la veille, des spectateurs s’étaient insultés et, même, molestés au
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