Rive-Reine
Théâtre-Français, à l’occasion de la première représentation d’un drame en vers de M. Victor Hugo : Hernani ou l’Honneur castillan . M. Victor Hugo était donné comme le chef d’une nouvelle école, connue des initiés sous le nom de Cénacle. Ce groupe rassemblait des écrivains et des poètes qui avaient ouvertement déclaré la guerre aux auteurs classiques comme au théâtre académique et bourgeois. Ces romantiques, tels qu’on les nommait, soute naient que tout ce qui est dans la nature est dans l’art, que la règle des trois unités, prônée par Boileau, corsetait l’inspiration, que l’acteur débitant un monologue apportait plus de vérité à l’action qu’un acteur s’adressant au conventionnel et passif confident.
Certains osaient, même, déclarer avec emphase : « Le beau, c’est le laid ! » Cette dernière assertion, rapportée par un journal, qui ne ménageait pas les romantiques, rappela à Axel les théories d’Anicet Laviron sur la peinture et il se promit de tenter, pendant son séjour, de rencontrer le frère de Juliane. Le Veveysan ne pouvait savoir que le fils du banquier genevois avait été, la veille, lors de la représentation d’ Hernani , parmi les plus ardents zélateurs de la nouvelle école et l’un des plus violents insulteurs de ceux qui conspuaient Hugo et sifflaient sa pièce. Naturellement, les journaux monarchistes voyaient dans les romantiques tantôt de dangereux révolutionnaires – M. Victor Hugo n’avait-il pas mis, sur scène, le roi d’Espagne dans un placard ? – tantôt des bonapartistes en mal de revanche ou des suppôts de la charbonnerie !
Tandis que Ribeyre et Fontsalte allaient à leurs affaires, Axel Métaz visitait Paris. Le soir, les trois hommes se retrouvaient pour souper chez Tortoni ou à la Maison Dorée, les restaurants à la mode. La vue des fils de famille désœuvrés, engagés volontaires pour l’expédition d’Alger comme s’il se fût agi d’une croisière mondaine, qui se composaient des uniformes extravagants pour jouer les matamores devant les beautés professionnelles, agaçait les deux généraux. Soucieux de discrétion, étant donné leur mission, Blaise et Claude circulaient en habit civil. En revanche, ils portaient ostensiblement au revers l’insigne de leur grade, modèle impérial, dans l’ordre de la Légion d’honneur. Charles X avait, comme son prédécesseur Louis XVIII, maintenu l’ordre créé par l’empereur en escomptant qu’un peu de la gloire des héros d’autrefois rejaillirait sur les nouveaux décorés des salons. Fontsalte et Ribeyre, en arborant les rosettes agréées par Napoléon, entendaient ne pas être confondus avec les courtisans et les fournisseurs, pour qui le ruban rouge n’était que faveur.
L’expédition d’Alger, décidée le 31 janvier, paraissait maintenant bien engagée. Dès le 9 février, ordre avait été donné aux arsenaux de réunir, dans les meilleurs délais, à Toulon, cent trois navires de guerre, de réquisitionner ou de louer au moins trois cent cinquante transports. Le 21 mars, le gouvernement avait débloqué cinquante millions de francs pour assurer les premiers frais de l’opération, qui allait engager vingt-sept mille marins, trente-sept mille soldats, quatre mille chevaux, un matériel de guerre considérable dont quatre-vingt-trois grosses pièces d’artillerie. Blaise de Fontsalte et son ami ne s’intéressaient ni à l’intendance ni à la stratégie militaire, mais ils furent déçus d’apprendre, le 19 avril, que le roi venait de désigner comme commandant en chef de l’expédition le comte de Bourmont, secrétaire d’État au département de la Guerre. Le maréchal Marmont, principal organisateur du corps expéditionnaire, se voyait frustré d’un commandement qu’il eût assuré avec plus de compétence et de brio que « le divisionnaire défaillant de Waterloo », détesté des bonapartistes.
Les anciens du service des Affaires secrètes et des Reconnaissances avaient promis à l’évincé de doter l’armée en partance pour l’Algérie d’une unité de renseignement efficace. Ils tinrent parole, assurant à l’état-major le concours de quelques fidèles mameluks, qui connaissaient l’arabe, autrefois ramenés d’Égypte par les aides de camp de l’empereur 7 .
Afin de parachever leur mission, Blaise et Claude durent se rendre à Toulon, pour inspecter l’embarquement de
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