Rive-Reine
de quoi désintéresser Guillaume et Blandine pour te rendre seul maître des affaires que tu as su faire prospérer depuis une douzaine d’années. Ta maman qui t’aime. »
– Je parie que c’est un billet doux, venu de Genève, dit Flora, qui avait été la seule avec Charlotte, dans l’animation générale, à suivre les gestes de son filleul.
– Plus que doux, grisant, chère marraine.
Axel vit avec plaisir arriver la fin du repas, car il était impatient de remercier sa mère et surtout de savoir comment elle avait eu connaissance de la somme demandée par son ex-mari, car lui-même n’avait cité aucun chiffre devant elle. Seul Chantenoz étant au courant, Axel imagina un bavardage de son mentor, qui n’en était pas à une indiscrétion près !
– C’est Martin qui vous a donné le prix à payer ? demanda-t-il au cours d’un aparté, après avoir tendrement remercié sa mère.
– Martin ! Non, pas Martin. Mais Blaise et moi nous avons dîné chez les Laviron à Genève et…
– Je croyais les banquiers tenus au secret sur les affaires de leurs clients !
– Les banquiers y sont tenus en effet, pas leur fille, Axel.
À voix basse, Charlotte expliqua à son fils que Juliane savait, par sa mère, que M. Laviron avait refusé un prêt à M. Métaz.
– Elle m’a d’ailleurs dit, très franchement, qu’elle craignait que son père n’ait, plus ou moins subtilement, tenté de te faire comprendre que la somme à emprunter eût pu constituer sa dot. Les Laviron ont longtemps espéré que tu demanderais la main de leur fille. « Je ne suis pas à vendre et j’en veux beaucoup à mon père de s’être conduit si stupidement. Axel n’a aucune envie de m’épouser et, moi, je n’ai nul désir de me marier sans amour. » Voilà ce qu’elle m’a dit. Elle a ajouté, un peu plus tard : « En homme d’honneur, Axel a dû ressentir le refus de mon père comme un affront. » Elle pense que c’est sans doute à cause de cela que tu n’as pas mis les pieds rue des Granges depuis plusieurs mois.
Axel demeura un instant perplexe.
– Ainsi, Juliane sait que son père aurait accepté, l’an dernier, de lui offrir un mari, sur pied et présentable, pour 75 000 francs ! Elle a honnêtement réagi, semble-t-il. Elle n’est pas à vendre, je ne suis pas à acheter ! Tout est clair entre nous !
– Mais, enfin, n’as-tu pas le moindre sentiment pour elle ? C’est une jeune fille adorable, d’excellente éducation et je ne parle pas de ses espérances ! dit Charlotte.
– Je ressens pour elle ce que Lesage 1 nomme de l’amouritié, c’est-à-dire un sentiment confus où se mêlent attirance amoureuse et simple amitié. Ça ne suffit pas pour épouser une demoiselle qui dit, elle-même, ne pas vouloir se marier sans amour, expliqua Axel en souriant.
Comme il s’inquiétait de savoir si la somme que sa mère distrayait de son capital ne lui ferait pas, un jour, défaut, M me de Fontsalte révéla que M me Rudmeyer lui avait laissé une petite fortune et que le domaine d’Échallens, bien loué à un riche étranger, lui rapportait largement de quoi faire ce cadeau à son fils et financer la restauration du château de Fontsalte.
– Vous voulez restaurer Fontsalte ! s’étonna Axel.
– Ce château sera un jour dans ton héritage, mon enfant, et je veux que tu le trouves en bon état. Nous allons, Blaise et moi, lui rendre son cachet médiéval et le pourvoir du confort intérieur qui lui a toujours fait défaut.
Elle ajouta qu’elle avait négligé d’annoncer, sur la carte qui accompagnait le gros billet à ordre, d’autres dispositions qu’elle venait de prendre au bénéfice de son fils.
– Je renonce aussi, à ton profit, à mes parts dans la société des barques Métaz et Rudmeyer, ainsi qu’à la vigne de Belle-Ombre. Le notaire, successeur de notre pauvre ami Ruty, va préparer les actes : nous n’aurons qu’à les signer.
– Pourquoi, mère, tant de générosité à mon égard ?
– Parce que je veux que tu sois un homme libre. Libre de conduire tes affaires, libre de choisir une femme selon ton cœur, quand t’en prendra l’envie, ce que je souhaite, dit-elle en ébouriffant d’une main tendre la toison frisée de son fils, comme lorsqu’il était enfant.
Axel enlaça sa mère et l’embrassait doucement quand survint Flora, qui les
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