Rive-Reine
étreignit tous deux.
– Quel beau tableau ! Dire que j’ai vu la première dent de ce gaillard, fit l’Italienne en pinçant la joue de son filleul.
– Et moi, je viens de voir son premier cheveu blanc ! dit Charlotte avec un soupir.
Aussitôt rentré à Rive-Reine, Axel prépara une courte lettre à l’intention de Guillaume pour l’informer qu’il disposait de la somme convenue pour le rachat de ses parts dans les affaires veveysannes. Il ajouta que les fonds seraient bientôt transférés par le banquier Laviron. « Vous serez délivré, ainsi que Blandine, de vos dernières préoccupations helvétiques », conclut-il avec un peu d’ironie.
Au commencement du mois de février, alors que la neige couvrait encore les parchets, Axel Métaz prit le vapeur pour Genève. En déposant son mince bagage à l’hôtel, il apprit la triste nouvelle que publiaient les journaux locaux. Charles Victor de Bonstetten s’était éteint le 3 février, à l’âge de quatre-vingt-sept ans. Les Genevois, qui ne péchaient jamais par excès de modestie, étaient reconnaissants à ce savant gracieux, érudit à fine plume, d’une aimable simplicité de mœurs, qui, au soir de sa vie, aimait s’entourer, sur la terrasse de sa maison, de fraîches jeunes filles, d’avoir un jour écrit : « Genève, c’est le monde dans une coquille de noix. »
Ayant payé son tribut de condoléances, Axel se rendit rue de la Corraterie, chez son banquier. C’est avec un plaisir un peu puéril qu’il tendit à Pierre-Antoine Laviron le billet à ordre de M me de Fontsalte en lui demandant de procéder au règlement de ses affaires avec Guillaume Métaz.
– Les investissements prévus cette année par ma banque m’offrant la possibilité du prêt que vous aviez sollicité l’an dernier, je me préparais à vous écrire. J’ignore quel intérêt vous demande Madame votre Mère, cher Axel, mais c’est du deux et demi pour cent que je vous aurais consenti, dit Laviron.
– Ma mère, monsieur, a la générosité de me faire un don, qui n’est assorti d’aucun intérêt ni condition, dit Axel, satisfait.
– C’est, en effet, un geste très généreux de la part de Madame votre Mère, fit le banquier, surpris.
– Très généreux, en effet. Elle tient à ce que je sois libre de conduire mes affaires et ma vie comme bon me semble, monsieur.
– Eh bien, voilà donc une affaire réglée. Je vais prendre contact avec M. Métaz, fermer son compte et passer à votre seul nom tout ce que vous aviez en commun chez nous, ajouta, avec un peu d’humeur, le banquier.
Axel n’apprécia guère cette réaction et ne différa pas plus longtemps le second coup qu’il s’était promis d’assener au père de Juliane.
– Dès que ces opérations seront terminées, monsieur, je vous demanderai de bien vouloir transférer tous mes comptes et avoirs à la banque de Vevey…
– Vous n’êtes plus satisfait de mes services ! coupa Laviron. Les Métaz nous font confiance depuis plus de cinquante ans, Axel. Je ne comprends pas votre décision. Vous avez toujours été accueilli et traité en ami, aussi bien ici, au comptoir, que dans ma famille, s’écria le banquier.
Le visage empourpré par l’irritation, il quitta son fauteuil et s’en fut observer, derrière la fenêtre constellée de fleurs de givre, les chantiers des immeubles en construction, sur les parcelles vendues par l’État au long de la Corraterie.
– Là n’est pas la question, monsieur. Votre banque était celle de mon père, qui avait ses raisons de tenir ses affaires à Genève quand nous n’avions pas de banques à Vevey. Or, le négoce se développant, il s’en est ouvert deux, dont une fondée par un ami. Vous comprendrez donc que je lui confie mes comptes. Et puis cela m’évitera des déplacements trop fréquents à Genève. Ne cherchez pas d’autres raisons à ce changement, monsieur, développa Axel, sans quitter son siège, face au fauteuil vide de M. Laviron.
Il jouissait intérieurement de la déconvenue du père de Juliane. Sur le Registre des rancunes , il pourrait inscrire sa vengeance.
M. Laviron, s’efforçant au calme, reprit place derrière sa table de travail. Son ton redevint professionnel et distant. Il oublia même qu’il avait souvent appelé Axel par son prénom.
– Il sera fait selon vos désirs, monsieur Métaz. Je vous demanderai
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