Rive-Reine
sa façon de conduire les guerres. Naturellement, sous couvert de faire de l’histoire, Marmont prépare le jeune homme au destin que nous lui souhaitons.
– À Genève, certains de nos amis disent que Marmont tente, surtout, une sorte de réhabilitation auprès des bonapartistes par l’intermédiaire du fils de l’empereur. Si ce dernier oublie, ou pardonne, la dérobade de Waterloo, qui pourrait encore la reprocher à Marmont ? intervint Blaise, qui entrete nait encore des rapports avec les derniers grognards du café Papon.
– Le duc de Reichstadt, qui a eu vingt ans au mois de mars, vient d’être nommé lieutenant-colonel du régiment de Giulay. D’après nos agents à Vienne, il se livre avec art et autorité au commandement de son unité, rapporta Ribeyre.
– Une seule ombre au tableau : il serait de santé fragile. Un Lausannois, qui revient de Vienne, l’a rencontré dans une réception d’ambassade. Il m’a dit que le jeune duc de Reichstadt est maigre, gris de visage, creux de poitrine. Le voyageur a ajouté : « Le fils de Napoléon n’a pas la mine colorée d’un officier qui sort à cinq heures du matin pour faire manœuvrer son régiment », compléta Blaise.
C’est Vuippens, dont plusieurs patients étaient de pauvres réfugiés romagnoles ou toscans, qui, pour rester sur le chapitre des Bonaparte, évoqua la mort, intervenue en mars, à Forli, près de Florence, du neveu de Napoléon, Napoléon Louis, fils aîné de la reine Hortense et de Louis Bonaparte, ancien roi de Hollande.
– Connaît-on les circonstances exactes de la mort de cet homme ? Mes Italiens racontent qu’il a pris part au soulèvement de Bologne et qu’il a été tué par les Autrichiens, dit le médecin.
– Il a bien pris part, un moment, avec son frère, à la révolution qui a agité la Romagne, mais il est mort loin des combats, d’une inflammation de la poitrine : tel fut, paraît-il, le diagnostic des médecins de Pesaro.
– Qu’allait-il faire dans ces révolutions italiennes, qui n’aboutissent jamais ? demanda Chantenoz.
– Il faut savoir, cher ami, que, dès son accession au trône, l’an dernier, Louis-Philippe a confirmé la sentence d’exil contre Hortense et son fils Louis Napoléon. Tous deux croyaient que la révolution de juillet allait leur permettre de rentrer en France. Ils furent déçus. Hortense et Louis Napoléon, qui fait maintenant, comme vous savez, des études à l’École militaire de Thoune, décidèrent, à l’automne 1830, de quitter leur résidence d’Arenenberg pour visiter Rome. Il était prévu qu’ils s’arrêteraient à Florence, pour rencontrer le fils aîné d’Hortense, Napoléon Louis, qui venait d’épouser sa cousine Charlotte, seconde fille du roi Joseph.
– Celui qui habita un moment Prangins et qui avait enterré un trésor dans le parc ? demanda Charlotte.
– Trésor qui fut récupéré par votre serviteur et emporté en Amérique par le secrétaire de Joseph. Ce qui ne fut pas le cas de tous les magots ! précisa Blaise avec un clin d’œil à Axel.
Sans tenir compte d’une digression dont il connaissait le sens et appréciait l’humour, Ribeyre poursuivit :
– C’est à Florence, pense-t-on, que les deux frères furent sollicités par le général Ciro Menotti, un industriel de Carpi devenu carbonaro, pour rejoindre la troupe de rebelles qu’il commandait. La révolution semblait réussir, puisque Menotti venait de s’emparer de Modène, d’où il avait chassé le duc Francesco IV di Modena. Les deux neveux de l’empereur, considérés par les carbonari et les zélateurs de la Jeune Italie de Mazzini comme des porte-drapeaux, rejoignirent les insurgés. Je me suis laissé dire qu’ils organisèrent des lignes de défense et marchèrent sur Civita-Castellana pour libérer des prisonniers politiques internés depuis huit ans.
– Bon sang ne peut mentir ! cita Blaise en guise de commentaire.
– Le sang des Bonaparte n’a pas menti. Mais les pressions, exercées par Hortense, le roi Jérôme qui vit à Rome, le cardinal Fesch et par ceux qui disaient au général Armandi, ministre de la Guerre des provinces rebelles, que les noms des neveux de Napoléon feraient du tort à la cause italienne, en incitant les puissances de la Sainte-Alliance à intervenir, furent assez fortes pour provoquer le retrait des deux frères. Ces derniers agirent surtout
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