Rive-Reine
Confédération.
L’inquiétude des citoyens paisibles était aggravée par les événements étrangers que rapportaient les journaux. Les Autrichiens avaient écrasé les soulèvements de Modène, de Parme et de Bologne. En Piémont, Charles-Albert avait succédé à Charles-Félix et poursuivait la répression contre les carbonari, tout en essayant de contenir les Autrichiens, chargés, par la Sainte-Alliance, de maintenir l’ordre en Italie. Dans le même temps, le gouvernement français, qui n’entendait pas abandonner aux seuls Autrichiens le maintien de la paix dans les États du pape, avait envoyé une armée occuper Ancône. Quant aux patriotes polonais, un temps victorieux, ils avaient été écrasés par une contre-offensive des armées du tsar et la Pologne était devenue province russe.
Même en Orient renaissaient des conflits. Méhémet-Ali, vice-roi d’Égypte, dont l’autorité s’étendait sur toute l’Arabie, ayant délégué son fils, Ibrahim Pacha, le vaincu de Navarin, contre les Turcs, venait d’envahir la Syrie.
Plus près de la Suisse romande, la révolte des canuts lyonnais, du 20 au 23 novembre 1831, avait tourné à l’insurrection et fait craindre à Louis-Philippe une révolution républicaine qui lui ôterait son trône, comme celle de juillet 1830 à Paris avait condamné Charles X à l’exil. Les ouvriers, qui tissaient la soie sur des métiers à bras, faisaient, depuis le xvii e siècle, la réputation universelle des soieries lyonnaises. Ils avaient été ulcérés quand cent quatre des mille quatre cents maîtres fabricants qui les employaient avaient refusé d’appliquer le tarif minimal, qu’ils s’étaient engagés à payer après décision du tribunal des prud’hommes, accord de la Chambre de commerce et approbation du préfet. Sous prétexte de lutter plus efficacement contre les exportations suisses et allemandes à destination des États-Unis, les soyeux avaient réduit les salaires de leurs ouvriers à trente sous par jour, pour dix heures de travail, soit à la moitié de ce qu’un canut percevait sous l’Empire, vingt ans plus tôt !
L’émeute avait duré trois jours, pendant lesquels les canuts, maîtres de la ville, avaient installé à la mairie un gouvernement provisoire, prêt à proclamer la république. Le pavillon noir des anarchistes flottait entre les drapeaux tricolores. Le 5 décembre, une armée conduite par le duc d’Orléans et le maréchal Soult avait rétabli l’ordre. Les canuts, arrêtés par douzaines, envoyés en prison, attendaient d’être jugés 4 . Une garnison, forte de vingt mille hommes, cantonnait entre Saône et Rhône afin de décourager toute nouvelle tentative d’insurrection. Mais les esprits étaient loin d’être calmés et seule la misère avait contraint les ouvriers à reprendre le travail pour nourrir leur famille. La déclaration du président du Conseil, M. Casimir Perier, disant devant la Chambre : « Il faut que les ouvriers sachent bien qu’il n’y a de remède pour eux que la patience et la résignation », avait fait scandale.
Au commencement du mois de mars, Axel reçut une lettre de Juliane. Sans aucune allusion à ce qui s’était passé entre le vigneron et son père, elle annonçait simplement qu’elle s’en allait à Paris passer quelques semaines chez son frère Anicet.
« J’ai besoin de voir d’autres figures que genevoises. Vieille fille, j’ai passé vingt-cinq ans, et, n’ayant de comptes à rendre à personne, j’ai envie de m’étourdir un peu. Je veux surtout tenter de réconcilier papa avec son fils. L’affaire me paraît en assez bonne voie, depuis que les tableaux signés Cinna Liron sont acceptés dans les galeries, intéressent les amateurs d’art audacieux et font l’objet, dans certaines revues, de critiques qui, sans être toujours élogieuses, prouvent que la peinture de mon frère ne laisse pas les connaisseurs indifférents. Papa, depuis quelque temps, se dit prêt à demander aux demoiselles Rath si elles accepteraient d’accrocher un tableau d’Anicet qu’il offrirait au musée.
» Anicet pourra me loger confortablement, car il possède un bel atelier et un appartement rue Saint-Georges, au pied de la colline de Montmartre. C’est un quartier que les artistes ont, paraît-il, annexé. Ils le nomment sans modestie la Nouvelle-Athènes. Un des très accueillants voisins d’Anicet, installé rue Chaptal,
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