Rive-Reine
seulement, pour la bonne règle, de m’adresser une lettre confirmant vos décisions et me précisant l’adresse et le nom de ce banquier de Vevey, que je n’ai pas l’honneur de connaître.
Les adieux furent froids et, contrairement à l’habitude, Pierre-Antoine Laviron n’invita pas Axel à prendre, avec lui, le repas de midi ni à « monter rue des Granges saluer ces dames ».
Libre désormais de conduire ses affaires à sa guise, Axel Métaz entreprit la liquidation de sa petite fabrique de chocolats. Les trois ouvriers qu’elle occupait furent immédiatement embauchés par M. Cailler, qui développait la fabrication industrielle d’un produit dont la consommation augmentait sans cesse. L’apparition de la chocolaterie industrielle des frères Kohler, à Lausanne, puis de Philippe Suchard, à Serrières, près de Neuchâtel, constituait une concurrence insupportable pour les simples artisans. Suchard, qui préparait un excellent chocolat fin, fabriqué avec des cacaos caraques et du sucre raffiné, était aussi un homme d’affaires. Il s’intéressait à l’élevage du ver à soie et à la fabrication des pâtes à l’italienne. Ainsi venait de naître ce que certains osaient nommer, maintenant, l’industrie alimentaire. Cette activité exigeait investissements et main-d’œuvre spécialisée. À Vevey, M. Durieu produisait, au moyen d’une machine, un nouveau biscuit sec, que Louis Vuippens déclarait excellent pour les estomacs fragiles, le Zwieback. Cet aliment se vendait aussi bien, disait-on, que le Lekerli, sorte de pain d’épice, très apprécié des enfants. Fabriqué mécaniquement à Bâle par M. Abt, le Lekerli concurrençait, sur le marché suisse, le pain d’épice de Dijon.
Si, dans toute la Suisse romande, les affaires prospéraient, la situation politique, à l’intérieur de la Confédération, ne cessait de se dégrader tandis que se manifestait, dans certains cantons, un anticléricalisme sectaire. Depuis la régénération, amorcée en 1830, les dirigeants des cantons dotés de nouvelles constitutions libérales réclamaient une révision du pacte fédéral. Celui de 1815 n’était plus adapté à l’évolution politique et économique d’un pays situé au cœur d’une Europe en mutation. De nombreux citoyens se rendaient compte que vingt-deux États 2 , minuscules mais souverains, ne pouvaient plus se satisfaire, pour la gestion d’intérêts communs, d’une concertation épisodique. Celle-ci n’intervenait que lors des réunions de la Diète, l’expédition des affaires courantes étant alternativement confiée au gouvernement de Zurich, de Berne et de Lucerne, promus à tour de rôle Vorort, c’est-à-dire canton directeur. L’époque où toutes les questions administratives, judiciaires, militaires et commerciales se réglaient à l’échelon du canton paraissait révolue. La Confédération avait besoin d’un gouvernement fédéral permanent, doté de pouvoirs limités mais réels, qui parlerait au nom de toute la Suisse devant les instances internationales et serait capable de décourager les menées impérialistes, toujours redoutées, des grandes puissances.
On constatait, parmi les libéraux, l’émergence d’un courant radical agressif, notamment dans les cantons les plus industrialisés, qui disaient souffrir du système des douanes intérieures, de l’inorganisation des postes, de la disparité des monnaies et des poids et mesures. L’adoption du système métrique, « adapté autant que possible aux dénominations connues dans le pays », décrétée en 1822 par le canton de Vaud, ne s’était pas généralisée et cela compliquait – et parfois même embrouillait – les transactions financières et les échanges commerciaux. Zurich, Berne, Lucerne, Soleure, Saint-Gall, Thurgovie et Argovie, cantons régénérés, avaient fondé, sous l’appellation « Concordat des sept », une ligue libérale. Les gens informés assuraient que les cantons conservateurs, Uri, Schwyz, Unterwald, Neuchâtel et Bâle-Ville, toujours en désaccord avec Bâle-Campagne, préparaient une ligue 3 rivale pour faire contrepoids à celle des libéraux.
Les Vaudois et les Genevois se tenaient à l’écart de ces rivalités, qui ne suscitaient pour l’instant que des affrontements verbaux entre les ligueurs adversaires. Les plus pessimistes redoutaient cependant une scission, qui serait désastreuse pour la
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