Rive-Reine
homme étant pauvre, elle joignait un peu d’argent à un rapport sur la situation dans le Piémont, où des patriotes, opposés aux Sardes et aux Savoyards, se préparaient à l’insurrection. Axel prit Adrienne dans ses bras. Il souffrait déjà d’une séparation dont il ne pouvait prévoir la durée et que la fantasque Adry semblait facilement accepter. Un coup discret frappé à la porte de la chambre interrompit les effusions mélancoliques des amants.
Zélia passa la tête dans l’entrebâillement et dit une courte phrase dans sa langue tsigane.
– La gondole t’attend en bas pour te ramener à la Ca’ Malorsi. Quand penses-tu quitter Venise ? Le plus tôt sera le mieux, ajouta Adrienne avec autorité, sans attendre la réponse.
– Je pense prendre la courrière 11 demain, en fin de matinée, dès que j’aurai fait mes bagages et réglé mes affaires.
– Une berline légère sera au débarcadère, à Padoue, demain soir. Elle contiendra le buste qu’on va y porter cette nuit. Tu reconnaîtras aisément le cocher : c’est Lazlo, un de mes Zigeuner. En signe de reconnaissance, il te montrera son bras gauche, autour duquel s’enroule un tatouage représentant un serpent. Toi, tu lui remettras la bague que tu as reçue tout à l’heure. Il me la rapportera. J’y tiens.
– Je comptais la conserver en souvenir de toi, osa Axel.
– Un jour viendra où je te l’offrirai. Mais le moment n’est pas encore venu.
Comme, après un dernier enlacement, Axel Métaz se séparait d’Adrienne et se préparait, lanterne à la main, à quitter la pièce, la jeune femme à l’œil vairon lui fit une dernière recommandation :
» Pas un mot de tout cela au comte Malorsi. Et veille à ne pas être suivi tant que tu es à Venise.
Au bas de l’escalier, Axel retrouva Zélia, qui prit la lanterne et la dissimula dans l’encoignure où elle l’avait trouvée. Elle fit quelques pas sous la voûte, au côté du garçon, et désigna la silhouette du gondolier, qui attendait dans l’ombre d’une arcade. Axel allait saluer la servante quand celle-ci, relevant brusquement son voile, lui plaqua sur les lèvres un baiser fervent. Le goût de ces lèvres tièdes lui rappela celui des sucres d’orge de Tignasse. Le temps de revenir de sa surprise et la Tsigane s’était dissoute, tel un fantôme, dans l’épaisseur de la nuit.
Ayant regagné sans alerte son appartement, le jeune homme se mit immédiatement à ses bagages. Il s’endormit à l’aube et, quelques heures plus tard, prit congé de sa logeuse avant de grimper jusqu’aux combles pour faire ses adieux au vieil aristocrate, qu’il trouva en robe de chambre devant la première collation de la journée. Ayant accepté une tasse de café, Axel expliqua à son ami qu’il devait prendre le jour même le chemin du retour vers son pays.
– C’est ce que vous a imposé la baronne ? demanda Malorsi, du ton d’un homme qui connaissait la réponse à sa question.
– Pourquoi me l’aurait-elle imposé ?
– Comme ça…, pour faire le commissionnaire, par exemple !
Axel resta interloqué.
– Ne me dites rien, mais soyez prudent. Bien que je sois triste de vous voir partir, car vous m’avez apporté, pendant des mois, avec tant de générosité, un regain de jeunesse et de bonheur, je ne serai tranquille que lorsque je vous saurai loin de Venise, soupira avec émotion le dernier des Malorsi.
Quand le jeune homme voulut lui rendre la dague dont il n’avait pas eu à se servir, le comte tint à ce qu’il la conservât en souvenir de leur amitié.
– En revanche, vous devez me donner la plus petite pièce de monnaie qui se trouve sur vous, car offrir une lame peut couper l’amitié et seul un petit don d’argent conjure le mauvais sort.
– J’avais justement préparé un petit cadeau à votre intention, dit Axel en posant sur une assiette, devant le comte, une émeraude tirée du sachet aux pierres précieuses de Blaise de Fontsalte.
Ugo Malorsi saisit la pierre, l’examina, admira ses éclats verts dans le soleil et prit la main d’Axel.
– Mon ami, dit-il gravement, je la ferai monter en épingle de cravate et je l’emporterai, bientôt sans doute, dans la tombe. Elle brillera pour l’éternité à tous les feux des enfers, où je suis attendu avec le respect dû à un grand pécheur !
À la fin de la matinée, alors que
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