Rive-Reine

tirés et, malgré son sourire, paraissait fébrile.
     
    – Pardonne-moi cet enlèvement, mais il était dicté par notre sécurité à tous deux, dit-elle en l’embrassant distraitement.
     
    – Ton mari ?
     
    – Mon mari est loin et n’a rien à voir dans l’affaire. Non, Axou, j’ai un service à te demander et j’ai peu de temps pour le faire. Je souhaite que tu partes pour la Suisse le plus vite possible, en passant par Gênes où tu trouveras un bateau qui te portera à Marseille. De là, par Lyon, tu gagneras Genève…
     
    – Ce congé si brutal et si bien organisé est assez inattendu, interrompit Axel, interloqué.
     
    – Ne sois pas stupide. Il ne s’agit pas d’un congé. Viens t’asseoir, que je t’explique ce que j’attends de toi.
     
    – J’ai, en effet, besoin d’une explication, fit le garçon avec un peu d’humeur.
     
    Pendant un long moment, Adrienne se livra, sous le sceau du secret le plus absolu. Elle expliqua qu’elle aidait ceux qui, partout en Europe, étaient en lutte, ouverte ou souterraine, pour leur liberté et aussi qu’elle renseignait et soutenait les bonapartistes, ceux, notamment, qui avaient formé le projet de faire évader Napoléon de Sainte-Hélène. Plusieurs expéditions, plus ou moins risquées, devaient être montées au cours des prochains mois. La plus sérieuse partirait de La Nouvelle-Orléans, car de nombreux officiers de l’Empire s’étaient installés dans le sud des États-Unis, en Louisiane et au Texas notamment. Et Joseph, frère de l’empereur et ancien roi de Naples et d’Espagne, résidait dans la banlieue de Philadelphie. On le disait acquis à l’idée de faire évader Napoléon de son île-geôle.
     
    – Le général Lefebvre-Desnouettes, condamné à mort par les Bourbons, et le général Clauzel, devenu planteur en Alabama, sont, eux aussi, restés fidèles à Napoléon. D’autres, comme le général Rigau et le général Lallemand, ont fondé, au Texas, une colonie militaire, Champ d’Asile, qui regroupe d’anciens officiers et des soldats de la Garde. Ils se préparent, avec une petite troupe d’élite qui compterait des Américains, à servir l’empereur dès qu’il arrivera à La Nouvelle-Orléans. Le maire de la ville, Nicolas Girod, originaire de Savoie, est prêt à accueillir l’exilé dans sa maison de la rue de Chartres 9 . Les Louisianais ont armé un voilier rapide, la Séraphine , et un brick de soutien. Le capitaine a déjà recruté un équipage d’anciens corsaires, qui ont navigué avec Jean Laffite et Dominique You.
     
    Axel écoutait, stupéfait, cet exposé qui lui donnait le sentiment d’entrer, à son corps défendant, dans un complot de grande envergure.
     
    – Mais je ne vois pas ce que je viens faire dans tout ça !
     
    – Figure-toi que Napoléon doit être prévenu, à Sainte-Hélène, de l’arrivée de ceux qui veulent l’arracher aux Anglais. De bonnes âmes ont fait sculpter un buste du roi de Rome, qui doit lui être expédié et que ses geôliers l’ont autorisé à recevoir. De ce buste nous avons fait établir une réplique exacte, qui sera substituée à l’original, le moment venu. On y cachera le plan d’évasion, qui parviendra ainsi à Sainte-Hélène. C’est ce buste que je te demande de porter à Gênes, où il est attendu. Tout est organisé pour ton voyage. Le postillon que tu trouveras à Padoue appartient à la charbonnerie – c’est une société secrète de patriotes italiens qui marche avec nous – il te conduira à Gênes.
     
    – C’est une bien curieuse aventure que tu me proposes là, s’étonna Axel.
     
    – Tu es libre de refuser, dit Adrienne.
     
    – N’importe comment, il est temps que je rentre chez moi, alors, un peu plus tôt, un peu plus tard ! Si ce détour par Gênes te rend service, à toi et à ta cause, qui, entre nous, me paraît assez hasardeuse, je l’accepte volontiers. Mais quand et où te reverrai-je ?
     
    – Où et quand, je l’ignore, mais tu auras de mes nouvelles et nous nous reverrons. C’est mon plus cher désir, dit-elle en l’embrassant fougueusement.
     
    Elle désigna une caisse, posée dans un coin de la chambre :
     
    – Voilà l’objet. Il sera dans le cabriolet que tu trouveras à Padoue. À Gênes, le rendez-vous est fixé dans le cloître de l’église Santa Maria delle Vigne, le lendemain de ton arrivée. L’homme qui va te conduire arrangera tout. Ce qu’il ne sait pas,