Rive-Reine
c’est le signe de reconnaissance que possédera celui qui devra prendre livraison du buste. Tu lui demanderas l’heure. Le boîtier de la montre qu’il tirera de son gousset devra être orné d’une miniature sur émail, représentant les portraits de Robespierre et de Marat. Si la montre n’est pas ainsi faite, va-t’en !
Axel Métaz tempérait son ingénuité naturelle par la circonspection objective propre aux Vaudois. Garçon d’un caractère établi, il restait lui-même en toute circonstance et ne s’engageait pas à la légère dans des situations sortant de l’ordinaire. Adrienne ne lui laissait pas, hélas, le temps de réflexion dont il eût aimé disposer et attendait une réponse immédiate. Il la lui donna, imaginant qu’après tout sa conscience, qui s’était accommodée de l’inceste, ne lui reprocherait pas d’aider quelques nostalgiques de l’Empire à vivre leur dernière utopie. Et puis participer à une aventure qui assurerait peut-être la libération de Napoléon l’amusait.
– Ce n’est pas tout, reprit Adrienne, tandis qu’il soupesait le colis dont il venait d’accepter la charge.
– Ce n’est pas tout ?
– Non. Je vais te confier deux plis, que tu porteras à Genève. Ils sont à remettre l’un au général-baron Pierre de Chaslin, que tu trouveras au café Papon, sous l’hôtel de ville, l’autre à un Italien devenu français, Philippe Buonarroti 10 . C’est un descendant du grand peintre Michel-Ange, un démocrate sincère. Son modèle est Robespierre, c’est te dire qu’il est fanatique ! Il a passé sa vie à préparer des révolutions qui n’ont pas encore abouti. Ses amis l’appellent le Vieux de la Montagne. On te dira au café Papon où tu pourras le trouver.
– J’imagine que ces plis sont confidentiels et ne doivent pas être interceptés par les gens de police, tant à Venise qu’à Gênes ou Genève ?
– Bien sûr, aussi faudra-t-il que tu prennes des précautions, que tu les dissimules. Mais un jeune citoyen suisse qui regagne son pays avec des passeports en règle ne doit pas atti rer l’attention des autorités. C’est bien pourquoi c’est à toi que je demande ce service.
– Et puis-je savoir ce que contiennent ces plis ? demanda Axel en désignant les deux enveloppes déjà préparées sur la table.
– En ce qui concerne le baron de Chaslin, il s’agit d’un rapport sur cette putain de Marie-Louise ! Oui, une vraie chienne ! confirma Adry.
Devant le froncement de sourcils d’Axel, surpris par ce langage outrancier, elle s’empressa de poursuivre :
» Quand Marie-Louise, après avoir refusé de rejoindre l’empereur, son mari, et abandonné son fils, le roi de Rome, à Schönbrunn, est arrivée à Parme avec dix-huit carrosses, le 19 avril 1816, pour prendre possession de son duché, le comte de Neipperg, chargé par Metternich de l’accompagner et de la surveiller, était déjà son amant. Le 17 mai 1817, elle a mis au monde une fille, qui a été baptisée Albertine-Marie. J’ai assisté au baptême. Cela, les bonapartistes le savent, car tout Parme a salué en riant cette maternité. Mais, ce que nos amis de Genève ne savent pas encore, c’est qu’il y a quelques mois, le 3 août 1819, notre duchesse de Parme, dont la fécondité peut en remontrer aux lapines, a accouché d’un autre enfant de Neipperg. Cette fois, il s’agit d’un garçon, qu’on a baptisé Guillaume et auquel on a attribué le même nom qu’à sa sœur : Montenuovo. Les bâtards sont hébergés chez l’accoucheur, le docteur Rossi, et c’est là que leur mère vient les voir en cachette. Quant au papa, qui est borgne, il a été promu feld-maréchal, Premier ministre de Parme et décoré de la Toison d’or ! Voilà ce que rapportent les soins assidus donnés à une archiduchesse d’Autriche ! Comme Marie-Louise redoute par-dessus tout que son père, l’empereur François, apprenne qu’il a été fait deux fois grand-père, ce que lui cache Metternich, nous comptons sur nos amis pour le lui faire savoir !
Axel reconnut que la conduite de Marie-Louise était indigne d’une ex-impératrice des Français, dont le mari souffrait en exil. Le récit d’Adrienne le conforta dans sa décision d’aider, pour l’honneur, les derniers amis de Napoléon. Adry fut moins prolixe à propos du pli destiné au révolutionnaire italo-français. Elle lui dit simplement que, cet
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