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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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heures, dit Axel au portier de l’hôtel, en lui glissant une pièce.
     
    Il regagnerait Vevey dans cette voiture anglaise d’un type peu courant en Suisse. Bien que la nuit fût tombée, il décida, pour tromper son désarroi et sa solitude, de rendre visite à Chantenoz.
     
    La rue des Belles-Filles 18 et la rue Chausse-Con 19 avaient perdu leur réputation de malfamées depuis que les prostituées s’en étaient éloignées et que des artistes, des professeurs et des pasteurs avaient élu domicile autour de la place du Bourg-de-Four. Une belle fontaine, l’église luthérienne inaugurée en 1766 et la maison de la Bourse française bâtie par Calvin, où logeait maintenant le peintre Hornung, donnaient au quartier un nouveau prestige intellectuel.
     
    Rue des Belles-Filles, Chantenoz avait pour voisins le pasteur Jean Cellérier, surnommé « le Fénelon des champs », et l’ingénieur cantonal Guillaume Henri Dufour, diplômé de l’École polytechnique de Paris, membre du Conseil représentatif de Genève, qui venait de fonder l’École militaire de Thoune et d’être promu lieutenant-colonel de l’armée fédérale. On lui prêtait de grands projets pour embellir Genève. Seuls les gens informés savaient que ce savant avait pris comme repère, pour mesurer l’altitude des montagnes suisses, les pierres de Niton 20 , seuls récifs connus des bacounis genevois.
     
    Martin ne parut pas surpris de voir arriver son ancien élève. Vêtu d’une vieille robe de chambre, il apparut à Axel tel un Faust famélique et hirsute. À la lumière d’un quinquet, dont il s’empressa de relever la flamme, il lisait, annotait, corrigeait les devoirs de ses étudiants ou rimait quelques vers mélancoliques, retranché comme un assiégé derrière un rempart de livres empilés de guingois. Le moindre geste inconsidéré eût fait s’effondrer cette muraille de savoir. Dans la pénombre, Axel distingua les rayonnages d’une bibliothèque saturée, dont l’expansion menaçait d’obstruer portes et fenêtres. Sur la table de travail, l’abondance de papiers, lettres, coupures de journaux, revues, feuillets épars, dossiers pléthoriques réduisait la surface utile à l’écriture au seul sous-main, un cadeau de Charlotte Métaz au précepteur de son fils.
     
    – Un bureau n’est jamais assez grand, soupira Martin, remarquant le regard amusé d’Axel.
     
    Il vida une chaise, devenue bibliothèque annexe, et l’offrit au visiteur.
     
    – En ton honneur, je vais déboucher une bouteille de faverges, dit-il en disparaissant dans une pièce attenante.
     
    Quand les verres, posés sur un Tite-Live, édition Vascosan de 1543, dont la reliure de veau brun eût mérité plus de considération, furent emplis, vidés, à nouveau remplis et les pipes allumées, Axel prit l’initiative des confidences. Il retrouva spontanément le ton confiant de l’élève venu raconter ses vacances à son maître. Martin Chantenoz en fut ému et, comme toujours dans ce cas, se mit à polir les verres de ses lunettes en écoutant.
     
    Axel sentait soudain la nécessité d’un grand déballage pour exorciser le passé récent. Il ne cela rien de l’aventure vénitienne, de la passion conçue pour sa demi-sœur, qu’il décrivit avec lucidité comme un être étrange, imprévisible, envoûtant et sans doute pervers.
     
    – Il semble que tu aies une propension à t’attacher aux êtres dotés de ce que Socrate et Platon nomment une nature démoniaque. Ou alors, tu les attires. Lord Moore et ton Eliza n’en faisaient-ils pas partie ? Et Tignasse, moindrement ?
     
    Axel sourit mais approuva d’un signe de tête.
     
    – Qu’entendez-vous par « nature démoniaque » ?
     
    – J’entends une nature commandée par une force intérieure impérieuse, dont on ne conçoit pas toujours l’existence et qu’il est difficile de maîtriser. Goethe écrit : « Les natures démoniaques sont des natures plus instinctives que réfléchies et, par conséquent, plus divines qu’humaines. »
     
    – C’est peut-être le cas d’Adrienne, qui m’a paru, parfois, soumise aux exigences circonstancielles d’un démon intérieur, estima Axel.
     
    Il tut l’épisode honteux du matin, lors des exécutions de la place Neuve, mais raconta comment, dans un ridotto de Venise, la jeune femme avait fait perdre un joueur en fixant la nuque de cet habitué.
     
    – Ce jour-là, elle m’a assuré, avec une sorte de fierté,

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