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Rive-Reine

Rive-Reine

Titel: Rive-Reine Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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dizaine de pas en silence, au côté de Martin, avant que ce dernier s’aperçût d’une présence. Chantenoz finit par tourner la tête, le sourcil courroucé, plissant des paupières de myope derrière ses lunettes. Il reconnut instantanément son ancien élève. L’émotion le figea sur place.
     
    – Bon Dieu, c’est toi ! dit-il, laissant échapper la mince brochure qu’il serrait sous le bras.
     
    Axel ramassa la plaquette et lut le titre : Considérations sur la divinité de Jésus-Christ, adressées à Messieurs les Étudiants de l’auditoire de théologie de l’Église de Genève .
     
    – Pieuse lecture, Martin ! Êtes-vous en passe d’adhérer à une doctrine religieuse ?
     
    – Le diable m’en garde ! Et ce n’est pas ce que je viens de voir place Neuve qui me conduira à respecter ceux qui fréquentent les églises quand ils ne vont pas voir trancher les têtes ! Ce texte, expliqua Chantenoz en glissant la brochure dans la poche de sa redingote, ne sert qu’à m’informer, car bon nombre de mes étudiants de philosophie s’intéressent à son auteur, un certain Empaytaz, protestant dissident, qui ne manque pas de courage et qui…
     
    Chantenoz s’interrompit brusquement, réalisant soudain ce que cette conversation pouvait avoir de déplacé. Il se trouvait en face d’Axel qui, depuis certaine soirée d’août 1819, devait le maudire. N’avait-il pas détruit, d’une phrase d’ivrogne, le ménage Métaz et bouleversé la vie du garçon ?
     
    – Comme ça… tu es revenu, ânonna-t-il timidement.
     
    – Oui, je suis revenu, Martin… Il fallait bien revenir… un jour !
     
    – Tu dois me détester, n’est-ce pas ?
     
    – Je vous ai détesté, oui, mais pas pour la raison que vous croyez. Pas pour la révélation publique de l’infortune de mon père. Non. Je vous ai détesté parce que vous avez tu, pendant des années, une vérité que je ne pouvais manquer d’apprendre fortuitement, un jour.
     
    – Mais je ne pouvais que me taire ! Une seule personne devait parler : ta mère. Je le lui ai dit, dès que j’ai découvert que tu n’étais pas le fils de Guillaume. C’était à Loèche, souviens-t’en, nous étions allés la surprendre aux bains ! En voyant les yeux de l’homme qui l’accompagnait, j’ai tout compris en un éclair ! Elle m’a fait jurer de me taire et j’ai fini par la trahir, par trahir tout le monde ! J’ai souvent pensé en finir avec cette vie, entachée d’un tel acte stupide. Sans Flora, peut-être aurais-je trouvé le courage de me tuer. Et puis, avec le temps, le courage de mourir s’en est allé ! J’ai accepté de vivre avec ma honte et mes remords. Je vis sans plaisir, je vis lâchement, mais je vis, parce que je n’ai pas la volonté de mourir. Je ne suis pas grec, Axel.
     
    Martin Chantenoz s’éloigna de quelques pas, puis revint vers son ancien élève, resté immobile.
     
    – Si tu me tuais, maintenant, ce serait une bonne chose pour moi ! dit-il d’une voix sourde.
     
    Axel mit la main sur l’épaule de Martin et sourit. Il le savait sincère, résigné, lui qui avait tant d’orgueil et tant d’honneur, à vivre sans orgueil et sans honneur. Il soupçonna même que son ancien précepteur se complaisait dans ce qu’il devait considérer comme une déchéance définitive.
     
    Chantenoz se dégagea, approcha son visage de celui d’Axel et lui prit le bras presque brutalement.
     
    – Oui, si tu me tuais, toi, maintenant, ce serait une bonne fin, pour moi. Ce serait faire justice ! Comme on vient de faire, là, sous la Treille. Car tu as droit à ta vengeance et je ne te la marchanderai pas !
     
    Axel, qui entendait dédramatiser les retrouvailles, opta pour le ton badin.
     
    – Une bonne chose pour vous, peut-être, Martin, mais pas pour moi ! Je me retrouverais bientôt place Neuve, comme les deux qu’on vient d’exécuter. Et il y aurait foule, comme aujourd’hui, pour voir la tête du fils Métaz, que vous avez essayé de bien remplir, tomber dans le panier du bourreau ! Allons, j’ai, moi aussi, mes lâchetés. J’ai, depuis longtemps, pardonné à tout le monde. À vous d’abord et à ma mère. Même au général Fontsalte, bien sûr.
     
    – Et ton père, je veux dire Guillaume, y penses-tu ?
     
    – Quand il a pris la décision de quitter Vevey, de partir pour l’Amérique, de répudier l’épouse infidèle comme une pestiférée, d’exiger le divorce,

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