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Romandie

Romandie

Titel: Romandie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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peuvent nous aider en Europe à secouer le joug russe. Je refuse de dire
comme Kosciusko, au soir de la défaite de 1794 : «  Finis Poloniae. » La Pologne vivra, même si nous mourons en Savoie, général !
    — Ce peuple héroïque vivra, j’en suis sûr, mais vous ne
devez pas méconnaître, colonel, que, si les Suisses vous aident, par générosité
et goût affirmé de la liberté, à supporter les affres de l’exil, comme ils
assistent les proscrits italiens, comme ils ont aidé les malheureux Grecs, assujettis
et tyrannisés par les Turcs, à conquérir leur indépendance, certains citoyens
souhaitent maintenant que les étrangers accueillis en Helvétie se tiennent
tranquilles et cessent de fomenter, à partir du territoire de la Confédération,
des complots terroristes de nature à les fâcher avec leurs puissants voisins.
    L’officier, visiblement troublé par les mises en garde
insistantes du général, donna le signal du départ. Blaise quitta son fauteuil
et sortit de la pièce pour appeler Trévotte, qu’il chargea de reconduire les
visiteurs jusqu’à Ouchy. Tandis que le municipal de Nyon passait la porte sans
un mot, le général prit familièrement le colonel par le bras.
    — Sachez, colonel, que ma maison vous est ouverte en
toute circonstance. Si l’affaire de Savoie tourne mal, ce que je crains, vous
trouverez à Beauregard un abri sûr. Je n’oublie pas que les nobles dames
polonaises de la communauté de Saint-Jacques, à Wilno, ont admirablement soigné,
en 1812, lors de la retraite de Russie, nos camarades blessés. Plusieurs leur
doivent la vie.
    — Ma mère en était, général, dit l’officier ému.
    Puis, se drapant dans la cape de berger qui dissimulait son
uniforme, il serra fortement dans ses mains osseuses celle que Blaise lui
tendit.
    Après le départ des deux hommes, Fontsalte éteignit les
lampes et gagna sa chambre au premier étage, ce qui, étant donné la pente du
terrain, correspondait, côté lac, à un deuxième niveau. Il marqua un temps d’arrêt
devant l’appartement de Charlotte et tendit l’oreille. L’épouse du général n’avait
pas été réveillée par les visiteurs.
    Un moment, avant de se mettre au lit, Blaise, debout devant
la porte-fenêtre, observa le décor du Léman qu’une pleine lune déclinante, dans
un ciel maintenant nettoyé de nuages, éclairait bellement. Dans l’air glacé, limpide
et d’une rare transparence, la vue portait jusqu’aux montagnes de Savoie
couvertes de neige. Les toits des belles demeures dispersées sur les pentes d’Ouchy
luisaient de givre et, en contrebas, l’astre tirait du lac des reflets d’acier
bleui. Fontsalte prit une longue vue et sortit sur le balcon. Bien que surpris
par le froid, il repéra aisément la grande barque qui attendait le retour du
noble polonais et de son guide.
    « Si leur arrivée fut discrète, pensa-t-il, leur départ
risque de l’être moins. »
    Bientôt, il vit le naviot se détacher de la barque et se
diriger vers le rivage, puis retourner au grand bateau dont les voiles
rapidement hissées eurent, lui sembla-t-il à distance, bien du mal à saisir la
faible brise nocturne que les bacounis appelaient morget.
    Rassuré quant au sort du colonel-comte Golewski, le général
se coucha en méditant sur l’offre du Polonais de commander l’état-major d’une
expédition qu’il estimait vouée à l’échec. En d’autres temps, il se fût engagé
sans réfléchir ni tergiverser, pour le plaisir de l’aventure, le goût du combat,
avec la conviction de servir la liberté et la fraternité des petites gens asservis
par l’absolutisme des derniers princes féodaux. Mais l’âge et l’expérience l’incitaient,
références à l’appui, non pas à la prudence pusillanime mais au réalisme platonicien,
à l’acceptation des faits tels qu’ils sont, forme raisonnée de la sagesse. S’il
devait reprendre un jour, même dans la limite des forces qui pourraient lui
rester, le combat auquel, imitant en cela son père, il avait voué sa vie, il ne
s’engagerait que pour celle qu’il nommait toujours, avec un peu de nostalgie, Notre-Dame
la France.
    En attendant des jours qui, peut-être, ne viendraient pas, il
entendait jouir du temps présent. Le cercle Fontsalte, ainsi désigné par les
Lausannois de la bonne société, constituait une famille originale, mieux soudée
par des souvenirs communs que par les liens de sang. Tous les membres du cercle,
parents et amis,

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