Romandie
italienne. C’est là que fut prise la décision d’une insurrection
simultanée dans le Piémont et en Savoie. Les conjurés manquèrent tellement de
discrétion que la police autrichienne eut vent de l’affaire et que de nombreux
membres de Jeune Italie furent arrêtés en Piémont et fusillés. D’autres sont en
prison pour dix ou vingt ans. C’est cela qui fait réfléchir M. Mazzini. Vos
amis italiens ont commis d’autres imprudences. Savez-vous que des plans
lithographiés de votre expédition ont été saisis, que vos déplacements sont
surveillés par les préfets et la milice. Les autorités savent que des armuriers
du canton de Vaud achètent des armes en France, qu’ils ont reçu de fortes
demandes de munitions. Mon propre tailleur lausannois s’est vu offrir une somme
énorme pour confectionner des uniformes et on a commandé, à Genève, des
cocardes, des insignes, des médicaments, de la charpie.
Le colonel Golewski ne put dissimuler l’étonnement et la
contrariété que ces révélations lui causaient.
Poursuivant sa mise en garde, Blaise reprit, se tournant
vers le citoyen de Nyon :
— Le préfet sait, monsieur, que des caisses, qui
semblent contenir des armes, ont été débarquées à Nyon et que les réfugiés
cachés dans les granges autour de la ville reçoivent des souliers envoyés de
Lyon. On a appris ces jours-ci qu’à Morges, à Rolle, à Nyon, à Vevey, des
propriétaires de barques ont été sollicités pour assurer le transport de votre
troupe. Mon fils, qui possède plusieurs barques à Vevey, est de ceux-là. Et
savez-vous qui renseigne, en premier, les autorités vaudoises ?
M. de Vignet, le représentant de la Sardaigne ! Il a même donné,
ces jours-ci, la date du départ de votre expédition : le 15 janvier.
Ces précisions laissèrent le Polonais et son compagnon
abasourdis. L’homme de Nyon fut le plus prompt à réagir.
— La population est prête à soutenir les réfugiés, même
contre les autorités et les miliciens. D’ailleurs, ces derniers n’useront pas
de violence envers nos amis. Ils nous en ont donné l’assurance, mon général. Le
préfet de Rolle, qui avait fait arrêter onze Polonais, a dû les relâcher sous
la pression du peuple, ajouta le Vaudois avec un peu d’humeur.
Blaise de Fontsalte savait la minorité radicale favorable
aux entreprises des exilés. Certains politiciens comptaient sur le désordre
intérieur que pourrait susciter leur action pour saisir le pouvoir que les
urnes leur avaient jusque-là refusé. Un peu agacé par le manque de réalisme du
Nyonnais, Blaise crut bon de rappeler la situation de la Suisse.
— Les Romands, monsieur, devraient avoir présent à l’esprit
que la neutralité de la Suisse, à laquelle ils sont si fort attachés, sera
remise en cause par les puissances si Vaudois et Genevois aident ouvertement
les révolutionnaires étrangers à monter des expéditions contre elles, dit le
général, dont l’œil clair s’était brusquement assombri, signe d’irritation manifeste.
— Cela peut se concevoir, reconnut le colonel, grave et
respectueux.
Fontsalte jugea cette appréciation courtoise mais
insuffisante.
— Pourquoi, diable, vous être mêlés, vous autres
Polonais, au conflit qui a opposé les citoyens de Bâle-Ville à ceux de
Bâle-Campagne [7] ?
Il s’agissait d’une affaire intérieure, d’une affaire entre Suisses. Ce fut une
erreur, qui a rendu bon nombre d’habitants des vieux cantons méfiants à votre
égard.
Cette fois, l’officier accepta la remarque.
— Je dois reconnaître que nous nous sommes laissé
influencer par le préfet de Porrentruy, Xavier Stockman. Porrentruy est le
siège de notre conseil économique polonais. Nous y avons été bien accueillis et
notre ami le colonel Antonini n’a pas cru devoir refuser l’appui des Polonais à
ce libéral…
— Ce radical, voulez-vous dire, coupa Blaise.
Golewski négligea la rectification et poursuivit :
— … qui reçoit nos camarades dans son club, L’Avenir. Et
puis, les autorités de Bâle-Ville ont attribué des chaires universitaires à
plusieurs des nôtres. Ça leur permet de subvenir à leurs besoins.
— La reconnaissance ne doit pas vous faire perdre de
vue que les politiciens sont prêts à vous utiliser pour arriver à leurs fins, colonel.
Défiez-vous d’eux ! Pensez d’abord, colonel, à la Pologne.
— C’est bien à ma patrie que je pense, à toutes les
actions qui
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