Sang Royal

tête. « N’ayez crainte, monsieur. Vous ne courez aucun danger dans cette affaire, et il s’agit d’une mission tout à fait vertueuse. Elle requiert seulement une certaine autorité personnelle… et surtout, précisa-t-il, ses yeux perçants plantés sur moi, de la discrétion. »
    Je serrai les lèvres. Il joignit la pointe de ses doigts. « Vous connaissez le but de ce “grand voyage” dans le Nord ? demanda-t-il.
    — Montrer le pouvoir du roi dans cette région rebelle, y rétablir son autorité.
    — On dit que le Nord a été la dernière région créée par Dieu, s’emporta soudain Cranmer. Elle est habitée par des barbares, encore embourbés dans l’hérésie papiste. »
    Je hochai la tête sans rien dire, attendant qu’il abatte ses cartes.
    « Lord Cromwell avait installé un gouvernement autoritaire dans le Nord après la rébellion qui y avait éclaté il y a cinq ans. Le nouveau Conseil du Nord emploie de nombreux espions, et heureusement car le complot qu’il a découvert au printemps était grave. » Il me fixa de ses yeux passionnés. « La fois précédente, les conspirateurs avaient seulement demandé au roi de se débarrasser des conseillers réformistes. »
    Comme toi-même, pensai-je. Ils auraient souhaité brûler vif Cranmer.
    « Cette fois-ci, ils ont traité le roi de tyran et ont cherché à le renverser. Les Nordistes préparaient une alliance avec les Écossais, bien qu’ils les aient toujours détestés, les jugeant encore plus barbares qu’eux-mêmes. Mais les Écossais sont eux aussi des papistes. Si la conjuration n’avait pas été découverte, Dieu seul sait ce qui se serait passé. »
    Je pris une profonde inspiration. Il me confiait des secrets que j’aurais préféré ne pas entendre. Des secrets qui me liaient à lui.
    « Tous les conspirateurs n’ont pas été neutralisés. Un bon nombre d’entre eux se sont enfuis dans les montagnes de la région. Nous avons encore beaucoup à apprendre sur leurs projets. Un conspirateur yorkais vient d’être arrêté dans cette ville et l’on doit le ramener à Londres par bateau. Sir Edward Broderick. » Il serra les lèvres très fort et, l’espace d’un instant, la peur se lut sur son visage.
    « Le projet des comploteurs comporte une face cachée que connaissaient seulement un nombre restreint d’entre eux. Or nous croyons que Broderick est l’un de ceux-là. Il vaut mieux que vous ignoriez cet aspect des choses. Seul le roi est au courant, ainsi qu’un petit groupe de conseillers de toute confiance. Broderick refuse de parler. Le roi a envoyé des interrogateurs à York mais ils n’ont rien pu tirer de lui, il est aussi têtu que Lucifer. On le transportera de York à Hull dans une voiture plombée, mêlée au cortège, avant de l’amener à Londres par bateau, sous la garde d’hommes totalement sûrs et d’une loyauté à toute épreuve. Le roi désire se trouver à Londres quand Broderick sera interrogé, et il paraît plus sûr de lui faire subir l’interrogatoire à la Tour, où l’on peut compter sur les questionneurs et sur la technique qu’ils emploieront pour lui arracher des aveux. »
    Je savais ce que cela signifiait : la torture. « En quoi cela m’implique-t-il, monseigneur ? »
    Sa réponse me surprit. « Je veux que vous fassiez en sorte qu’il soit toujours vivant et en bonne santé quand il arrivera ici.
    — Mais ne sera-t-il pas sous la garde du roi ?
    — Le duc de Norfolk étant chargé de l’organisation du voyage, c’est lui qui a choisi le geôlier de Broderick. Il s’agit d’un homme de toute confiance. Pourtant, même lui n’a pas été informé des soupçons que nous nourrissons à propos de son prisonnier. Il garde Broderick dans la prison du château d’York. Il s’appelle Fulke Radwinter.
    — Ce nom ne me dit rien, monseigneur.
    — Le choix a dû s’effectuer en toute hâte et je m’en suis préoccupé. » L’archevêque pinça les lèvres tout en jouant avec un sceau de laiton posé sur son bureau. « Radwinter possède de l’expérience en tant que gardien et… interrogateur d’hérétiques. Sa foi est réelle et sincère et l’on peut se fier à lui pour surveiller Broderick de près. » Il prit une profonde inspiration. « Toutefois il arrive à Radwinter de se montrer trop sévère. Une fois, un prisonnier est… mort. » Il fronça les sourcils. « Je souhaite la présence d’une tierce personne afin de garder un œil